Les sites métallurgiques dans l’aire culturelle aja-tado

Pour citer cet article:

Dola Aguigah (2015), Les sites métallurgiques dans l’aire culturelle aja-tado,  NAC’s Journal of African Cultures & Civilizations, n°1, 2015, Paris : New African Cultures, <en ligne> :http://nofi.fr/?p=6064 ; ISSN  2428-2510

Par Dola Angèle AGUIGAH
Archéologue, Historienne de l’Art
Maître-assistante des Universités du Togo

Résumé
Les thèses sur les origines de la métallurgie du fer en Afrique sont nombreuses. Certaines prônent une origine extra-africaine des techniques d’extraction du fer. Cependant les résultats des fouilles archéologiques, effectuées dans l’ancien Royaume de Tado dans l’aire culturelle Aja-Tado, en Afrique occidentale humide et côtière permettent aujourd’hui d’opter, entre autres, pour une origine clairement africaine de l’industrie métallurgique du fer grâce à des techniques endogènes. Le cas de l’aire culturelle aja-Tado, mis en exergue par cet article, est loin d’être une exception en Afrique de l’Ouest.
Mots clés : Archéologie-Traces matérielles de la métallurgie du fer –Ancien royaume de Tado

Abstract
Hypothesises on the origins of the metallurgy of iron in Africa are numerous. Some advocate an extra-African origin of techniques of extraction of iron. However the results of the archaeological excavations carried out in the former Kingdom of Tado in the Aja-Tado cultural area in West African coastal region allow today to opt for, among other things, a clearly African origin of the metallurgical industry of iron through endogenous techniques. The case of Aja-Tado cultural area, highlighted in this study, is far from an exception in West Africa.
Keywords: Archaeology- material traces of iron- ancient kingdom of Tado

1. Introduction
Ces cinquante dernières années, l’archéologie est devenue un outil et un support incontournable du développement socio-économique et culturel en Afrique subsaharienne. Les sources écrites font défaut pour les périodes antérieures aux XIIè-XVIè siècles et la chronologie, à partir des sources orales, reste fragmentaire ou repose sur des mythes. Elle remonte rarement au-delà de trois siècles. Les traces et vestiges découverts par l’archéologie permettent, depuis plusieurs décennies, de reconstituer une part de l’histoire jusque-là ignorée ou mal connue.
Cet article s’article autour de deux parties. La première partie présente un bref apercu des recherches archéologiques au Togo. La seconde est consacrée à la délimitation géographique et à l’historique de l’aire culturelle Aja-tado et présente les résultats des recherches archéologiques sur la métalurgie du fer dans l’aire ci-dessus mentionnée.

2. Bref apercu historique des recherches archeologiques au Togo
L’archéologie togolaise, comparée à celle des autres pays de la sous région, notamment dans sa partie francophone, est une discipline relativement jeune. Les recherches archéologiques sont demeurées inconnues jusqu’en 1979.
Deux raisons expliquent cette situation. D’abord la concentration des recherches à l’IFAN[1] à Dakar, ensuite le statut de territoire sous mandat du Togo au cours de la période coloniale. Cette période a été marquée par des découvertes archéologiques fortuites effectuées par les populations et les administrateurs coloniaux allemands et français. Quelques monographies ont été cependant réalisées ça et là, sur les galets perforés, les mégalithes du nord et de l’ouest du pays et sur la métallurgie du fer en pays Bassar. Ces documents écrits proviennent des missionnaires allemands et des administrateurs français qui ont sillonné le Togo ou qui y ont séjourné.
La première reconnaissance archéologique effectuée par le britannique O. Davies qui séjournait au Ghana, a révélé des sites préhistoriques au Togo et au Dahomey (actuelle République du Bénin).
Outre ces informations quantitativement restrictives, la collection des objets lithiques notamment des microlithes du Révérend Père Iréné Vialetttes est digne d’intérêts sur l’occupation préhistorique de l’actuelle région des savanes. En effet, le R.P. I. Vialettes du Diocèse de Dapaong a, non seulement, collecté un nombre important d’objets lithiques, mais a également repéré des sites préhistoriques et de métallurgie du fer dans plusieurs localités.
En dehors de toutes ces observations relatives à la présence humaine dans cet l’espace aujourd’hui togolais, les recherches archéologiques programmées ont effectivement démarré en 1979 avec la mission du Professeur Merrick Posnansky.
L’objectif principal de cette mission était de faire la reconnaissance archéologique du territoire togolais et de repérer les sites préhistoriques, protohistoriques et historiques susceptibles d’apporter des informations sur la mise en place du peuplement et leurs culturelles matérielles. La mission, dirigée par le Professeur Merrick Posnansky de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) était composée de Philip de Barros (UCLA) et de M. André Kuévi (Togo). Les premières fouilles, conduites par M. Posnansky, démarrèrent en 1980- 81, à Notsé, puis furent élargies par des prospections et des fouilles à Tado, deux grandes civilisations dans l’aire culturelle Aja -Tado par l’équipe des archéologues togolais. Ces fouilles se sont poursuivies chez les Bassar du Nord-Togo, avec les travaux de philip de Barros, notamment dans le cadre d’une mission en 2013, qui a permis la découverte d’un four ancien datant de 2000-2400 ans. Le projet Histoires de l’Afrique se propose de poursuivre ces travaux à Tado et Notsé, deux grandes civilisations de l’aire aja-tado.

3. Délimitation géographique et historique de l’aire culturelle Ajatado
L’aire culturelle ajatado est géographiquement délimitée par le bassin inférieur de l’Amuga (la Volta, en éwé) à l’Ouest au Ghana et l’Ouémé à l’est au Bénin, de l’Océan Atlantique, elle s’enfonce vers l’intérieur sur une profondeur variable de 150 à 200 Km (Gayibor 1997 : 151). Les populations de cette côte se réfèrent à Tado et à Notsé quant à leurs origines. Plusieurs populations partagent cet espace géographique et culturel dont les Aja-Hwe, les Ewe, Fon, les Kotafon, les Xwla-Xweda, les Ana, les Ouatchi, les Guin, les Adangbé, les Kpessi, les Agouna, …etc. Elles ont des us et coutumes qui présentent globalement des similitudes et renforcent leur appatenance à une histoire et une culture communes. Il s’en dégage, par conséquent, une forte homogénéité culturelle qui justifie l’appellation de civilisation ajatado. Les populations parlent d’une première migration à partir du pays yoruba de l’ancien royaume d’Oyo au Nigeria.
L’histoire des origines de Tado est demeurée pendant longtemps obscure. Mais l’histoire de la mise en place de son peuplement surtout dans ses grandes lignes ont fini par être retracées. Selon R. Pazzi, « Tado demeurait la ville des origines et continuait à recevoir l’hommage de soumission des groupes hétérogènes venus d’ailleurs» (in de Medeiros 1984 : 16). En effet, les traditions populaires de Tado rapportent que les Alu ont été les premiers à s’établir sur le site, appelé Eyru et leur premier ancêtre serait descendu du ciel avec une enclume et un marteau en mains connaissant déjà le secret de la fonte du fer. Par ailleurs, Tado est considéré comme « Amédjopé » ou le berceau ancestral des peuples de l’aire culturelle ajatado[2] . C’est dire que les mouvements migratoires qui ont affecté la région au cours du XVe siècle ont été d’une importance capitale dans la réorganisation de Tado. Cependant, les sources orales rapportent que ce dépeuplement de l’ancien royaume a débuté il y a bien longtemps.
Mais, les problèmes fondamentaux auxquels les sources orales sont confrontées sont ceux de la chronologie, que seule l’archéologie peut résoudre. En effet, les historiens évoquent un royaume à Tado et une cité-Etat à Notsé. L’approche archéologique a confirmé, à partir des vestiges divers retrouvés çà et là, témoins de plusieurs siècles d’occupation, les indices éventuellement citadins de ces occupations et situer, dans un cadre chronologique, l’émergence des agglomérations de type pré-urbain ou urbain dans cette aire culturelle ajatado.

4. Les sites archéologiques de l’ancien royaume de Tado
La vieille cité de Tado dont on verra plus loin la grande importance historique, abonde en vestiges nombreux et variés qui ont fait l’objet ces dernières années, de fouilles archéologiques dirigées par l’équipe du Programme archéologique togolais (PAT).

Schéma des sites archéologiques mis en chaantier dans l’ancien royaume de Tado
Schéma des sites archéologiques mis en chantier dans l’ancien royaume de Tado

5. Les sites de métallurgie du fer
Au Togo, plusieurs sites de métallurgie du fer ont été identifiés: Bassar, Dapaong et Tado. Les recherches archéologiques, menées à Tado ont permis de situer cette activité dans un cadre chronologique et d’identifier par regroupements des sources les producteurs. Les Alu feraient partie des premiers occupants du site. Leurs traditions rapportent que l’ancêtre des Alu, Eyru, serait descendu du ciel à l’aide d’une corde, avec un marteau et une enclume en mains, connaissant déjà le secret de la fonte du fer. Or, le marteau et l’enclume sont des outils de la forge et les vestiges métallurgiques retrouvés relèvent plus du travail de la fonte que de celui de la forge. Nous sommes en présence des mythes d’origine de la production autonome alu de l’activité métallurgique du fer.
Cependant, les prospections et les fouilles de D. A. Aguigah (1995 : 80) ont permis de distinguer des vestiges métallurgiques (ferrières : tas ou monticule de scories, fragments de tuyères, fragments de parois en brique rouge, …) des ruines de fourneaux, comme étant des fourneaux métallurgiques à tuyères, semi-souterrains, à base évasée et à partie supérieure conique (Photo n°5).
Nombreux sont les sites de métallurgie de fer identifiés au sol ou fouillés sur le plateau de Tado.
• Le secteur d’Ahwétugbé : Ce site est situé au nord-est de Tado. Deux tas de ferrières (tas ou monticule de scories) contenant des fragments de tuyères et de briques rouges (restes de fourneaux détruits) sont repérés à environ 5 km des concessions actuellement habitées.
• Le secteur du ‘’tell’’ de Domé-Dodomé se présente sous forme d’un tell ou colline archéologique au sommet duquel a été édifiée, en 1973, l’église catholique du village. Sur le versant septentrional de cette colline et à son extrémité nord-ouest, on observe aussi bien à la surface que dans les sondages, des ruines ou des fragments de fourneaux, des sols anthropiques, des fragments de scories et de tuyères, des restes de fourneaux, des fragments de pipes et des pipes entières, des tessons de poterie…etc. Les poteries exhumées et datées par la thermoluminescence, font remonter l’activité de la céramique au XIVe – XVIe siècle, de 1360 ± 42 à 1562 ± 28 de notre ère. Cette industrie potière a aujourd’hui disparu.
• Le village de Kpéyi
Il est situé à 3,5 km au sud-est de Tado, à 1,8 km de la frontière avec la République du Bénin. Quatre ruines de fourneaux ayant subi l’effet de l’érosion et des dégâts anthropiques sont encore visibles en surface dans plusieurs cours du village. Détruits et arasés, ces fourneaux présentent au sol une configuration circulaire, correspondant probablement au fond ou au diamètre du fourneau ; mais le résidu actuel ne dépasse pas 10 cm de hauteur (Aguigah, 1994). L’une de ces ruines a été fouillée avec la rigueur exigée par la recherche archéologique, sur une surface de 9 m2 (3m x 3 m), descendue à 1,50 m de profondeur, afin de le dégager entièrement jusqu’à sa base et d’étudier la succession du dépôt archéologique susceptible de renfermer des éléments de datation (Photos n°1 et 2).
L’intérieur et le fond du fourneau sont remplis de terre compacte, noire et brune, indiquant probablement les restes de la dernière activité de réduction du fer. Les parois intérieures du fourneau brûlées présentent des traces de cuisson en atmosphère oxydante et réductrice. Ce fourneau aspirait l’air par les six ouvertures à tuyères de 20 cm de largeur, disposées à la base du fourneau, orientées par rapport aux quatre points cardinaux : deux par deux face au nord, au sud, à l’est, et une ouverture principale face à l’ouest.
La fonction de ces ouvertures d’aération est d’activer la combustion par un courant d’air. Deux ouvertures, face au nord, portent des « lèvres » ou des auvents pouvant permettre de réguler ou de réduire éventuellement l’effet du vent dominant du nord notamment en période d’harmattan et de régler l’admission de l’air pendant la fonte, pour avoir la température nécessaire à une bonne opération de réduction. L’ouverture principale du fourneau par laquelle le laitier coule présente trois couches superposées de 25 cm d’épaisseur. De l’avis du Professeur J. B. Kiéthéga (1988), spécialiste de la recherche minière au Burkina Faso, la superposition des couches correspondrait au nombre de fois que le fourneau a été utilisé. Cette pratique, observée chez les Mossi du Yatenga, consiste à laisser le fourneau qui a servi, une première fois, se refroidir pendant quelques mois avant l’opération suivante. Les parois intérieures sont crépies d’une nouvelle couche d’argile afin de les rénover et de les mettre en état pour réussir une autre opération. En comptant le nombre de couches superposées, on peut donc connaître le nombre de fois que le fourneau a servi. Des tuyères retrouvées au cours des travaux champêtres et une prélevée dans le fourneau de Kpéyi présentent une coulée de verre ou de silice indiquant ainsi le dégré élevé atteint par la fonte.

Photo 2 : Fourneaux découverts et fouillés à Kpéyi
Photo 1 : Fourneaux découverts et fouillés à Kpéyi
Fourneaux découverts et fouillés à Kpéyi
Photo 2 : Fourneaux découverts et fouillés à Kpéyi

Des datations obtenues par la thermoluminescence à partir des échantillons prélevés dans les fouilles, il apparaît que les premières activités métallurgiques effectuées à Tado remonteraient à la fin du XIIè siècle, soit de 1147 ± 57 à 1180 ± 41 (Aguigah 1995 : 77).
• Le village d’Aoutélé : Ce village est situé à 4 km au sud-est de Tado, à 2 km de la frontière avec la République du Bénin et à 1,5 km de Kpéyi.
La prospection du site a révélé l’existence de trois ferrières dans les champs de culture et sous les palmeraies. Au centre du village, entre deux rangées de maisons, on peut observer une concentration de vestiges métallurgiques (scories, des fragments de tuyères, des fragments de parois de briques rouges provenant des fourneaux, des structures circulaires ne dépassant pas 3 cm de hauteur au niveau du sol).
Une superficie de fouille stratigraphique ouverte sur une tranchée de 8m sur 6m a mis au jour une batterie de quatre fourneaux arasés et alignés, dont trois particulièrement sont en très mauvais état de conservation (Photo n°3). Ce gisement de vestiges métallurgiques – ou du moins ce qu’il en reste – indique sans aucun doute une aire d’activités métallurgiques ou mieux encore, les restes d’un atelier de réduction du fer, qui couvrait une importante superficie dont les limites n’ont pu être déterminées.
Il ressort des résultats des fouilles archéologiques sur les sites de Kpéyi et d’Aoutélé, l’existence deux types de fourneaux métallurgiques à tuyères, qui se présentent comme suit :
– sous-type 1 : fourneau à tuyères avec plusieurs ouvertures, à base évasée et à partie supérieure conique ;
– sous-type 2 : fourneau à tuyères, à base évasée et à partie supérieure conique, le nombre d’ouvertures reste inconnu.
Un nombre aussi important de restes de fourneaux identifiés (fouillés ou non) et la présence de ferrières (les nombreux fragments de tuyères et de parois de briques rouges…) indiquent sans aucun doute une activité métallurgique intense à grande échelle dans la région, à une époque que les datations[3] par la thermoluminescence situent entre les XIIe et XIVe siècles, (de 1147 ± 57 à 1180 ± 41 et de 1213 ± 56 à 1240 ± 77) de notre ère. Ces données chronologiques aujourd’hui disponibles mettent en évidence l’existence d’un peuplement ancien et d’une activité métallurgique dans la région de Tado.
Photo N°3 : Fourneaux du secteur de Aoutélé

Photo 3 : Fourneaux du secteur de Aoutélé
Photo 3 : Fourneaux du secteur de Aoutélé

Cependant, des questions restent encore à élucider sur l’activité de métallurgie à Tado : d’où proviendrait le minerai de fer ? Quelles étaient les espèces végétales utilisées comme combustibles ? Quelles étaient les techniques traditionnelles d’exploitation et de réduction du minerai de fer ? Les fondeurs étaient – ils aussi des forgerons ? Existait – il des quartiers spécifiques réservés aux forgerons et aux fondeurs ? Quelles étaient les aires de distribution des loupes de fer et des outils fabriqués ?
De l’avis des géologues, la région du Moyen-Mono recèle d’importantes formations géologiques que les populations ont exploité pour l’activité métallurgique. Toutefois, la teneur en minerai de fer de ces concrètions ferrigineuses (Ahlihankpé) est si faible que les fondeurs ont dû extraire d’énormes quantités pour obtenir à la fonte, de faibles morceaux de fer d’où l’existence de nombreux monticules de scories qui parsèment aujourd’hui le paysage de Tado et ses environs (Photo n°4).
D’un autre côté, les sources orales de Tado sont unanimes pour reconnaître que les Alu, présumés autochtones, sont les forgerons et que leur ancêtre serait descendu du ciel avec le marteau et l’emclume dans les mains. Les Alu seraient-ils à la fois les premiers fondeurs et des forgerons qui auraient accueilli les vagues d’immigration venues de l’Est ? Les populations actuelles, qui ont perdu le souvenir de cette activité métallurgique, désignent les scories ou déchets de métallurgie comme d’une fée unijambiste «Aguê kpé» ou la pierre de la fée Aguê, ou encore « Alu- kpé » ou la pierre des Alu, les présumés autochtones, habitants le quartier Alu. Des fouilles ultérieures dans ce quartier pourraient certainement mettre au jour des éléments susceptibles de dissiper les zones sombres qui entourent encore les auteurs de cette intense activité de grandes productions et de larges diffusions sur l’ancien plateau de Tado.

Photo N°4 : Concrétion ferrugineuse [Ahlihankpé] ou minerai de fer à Tado
Photo N°4 : Concrétion ferrugineuse [Ahlihankpé] ou minerai de fer à Tado
Tout compte fait, l’abondance des vestiges issus de la réduction du fer (tas de scories, de tuyères et les ruines de fourneaux…) et les datations par le radiocarbone obtenues –XIIè siècle- lance le débat sur les thèses de l’origine de la métallurgie du fer en Afrique.
Aujourd’hui la thèse du diffusionnisme de la métallurgie du fer est battue en brèche par les résultats des fouilles archéologiques et les datations révèlent des autodécouvertes dans plusieurs endroits en Afrique. A ce propos, R. Vernet (2000 : 222) reconnaît qu’ « apparue très tôt en Afrique[4] , elle (la métallurgie) a pourtant suscité les passions pendant plusieurs décennies quant à son origine, même si aujourd’hui, grâce aux différentes recherches, on est passé de la thèse diffusionniste à la thèse d’une production africaine autonome de cette métallurgie ». A Tado, la métallurgie du fer est une technique endogène, pratiquée par les Alu qui étaient fondeurs et forgerons à la fois, car, ils mettaient sur les marchés des outils en fer, essentiellement constitués d’armes blanches et des outils aratoires, notamment les flèches, les lances, les longs couteaux, les houes, les machettes, etc.

Photo N°5 : Tuyère de fourneau de réduction de fer à Tado
Photo N°5 : Tuyère de fourneau de réduction de fer à Tado

6. Conclusion
L’industrie du fer au Togo repose sur des procédés techniques propres aux métallurgistes (méthodes de coulage, de martelage et de façonnage). Il s’agit de la métallurgie primaire et de la métallurgie secondaire du fer, pratiquées depuis plusieurs générations et qui se transmettent de génération en génération par filiation.
Dans le cas de l’aire culturelle Aja-Tado, malgré la défaillance de la mémoire collective dans l’exploitation et l’organisation sociale de l’industrie métallurgique, les cultures matérielles relatives à cette technologie endogène identifiées et étudiées restent les témoins indubitables de l’écriture de l’histoire économique, sociale, politique voire culturelle de l’aire ci-dessus dénommée.
En effet, les Alu, présumés autochtones, descendants de l’ancêtre Eyru venu du ciel avec le marteau et l’enclume dans les mains, ont depuis longtemps perdu le secret de l’extraction du minerai de fer. Pourtant les informateurs avaient indiqué les lieux où les ancêtres extrayaient des concrétions ferrugineuses pour l’opération de la fonte. Fondeurs et/ou forgerons- les deux groupes sociaux ne sont toujours pas clairement identifiés- les indices de la métallurgie du fer sont partout présents à Tado et les sites qui lui sont associés indiquent, bien entendu, une exploitation du fer à grande échelle que les séquences chronologiques situent entre la fin des XIème et XIVème siècles. Trois siècles d’activités métallurgiques qui situent l’âge local du fer aux périodes de bouleversements politiques occasionnant des conflits de succession au trône et les départs successifs du berceau ancestral, des premières vagues de migration, notamment celles des Xwla et des Xwéda en direction de l’Est.
Dans l’ensemble, ces résultats confirment certaines hypothèses jusque là retenues : l’existence d’un peuplement préhistorique, l’occupation ancienne de plusieurs sites, l’existence des technologies endogènes (céramique, métallurgie ancienne du fer, architecture traditionnelle et de défense, enceintes, pavements de sols etc.). Ces éléments, confrontés aux données de l’histoire orale et des archives existantes, permettent de mieux cerner les contours du passé et la mémoire des peuples qui ont façonné ce territoire.
Les traditions ajatado présentent toutefois, comme on l’a vu, les migrants accueillis comme étant originaires d’Oyo, autrefois théâtre d’un puissant empire yorouba. La divinité associée au travail du fer des Ajatado, Egu, Gu, ou Ogu semble avoir été emprunté à celui d’Ogun, la divinité yorouba. Si les migrants venus de l’Est sont effectivement venus du pays yorouba avec le savoir-faire qui y était connu, dans quelle mesure ont-ils contribué aux techniques du travail du fer connu à Tado[5] et présenté plus haut ?
On pourrait ainsi, en comparant les vestiges de stratégies de travail du fer en pays aja et en pays yorouba, tester la validité de la tradition pour qui le travail du fer est une innovation autonome des populations Alu.

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Références:
[1] Institut français d’Afrique Noire devenu Institut fondamental d’Afrique Noire après les indépendances.
[2]Cette appellation est parfois aussi réservée à la ville de Kétou (actuel Bénin), souvent présentée comme l’étape de migration intermédiaire entre Oyo et Tado (Cornevin 1962 : 48).
[3]Ces données de laboratoire permettent de se prononcer en faveur de la proposition de R. Pazzi (1979) plaçant l’arrivée des migrants à Tado au XIIème siècle plutôt que sur celle de N.L. Gayibor (1985) repoussant la fondation de Tado nettement après le XIIème siècle. Toutefois, il convient de souligner que dans le contexte des migrations des peuples africains, on doit plutôt parler de vagues de migrations au départ tout comme à l’arrivée d’un site donné.
[4]La moitié des vestiges de minerai de fer du monde antérieurs à 1500 avant notre ère peut ainsi être rattachés à l’Afrique. « En conclusion, il apparaît que la technique de réduction du minerai de fer a été inventée en Afrique noire dès le milieu du troisième millénaire, c’est-à-dire en même temps qu’en Asie occidentale et peut-être même avant. » Louise Marie Maes-Diop (2002), ‘’Bilan des datations des vestiges anciens de la sidérurgie en Afrique’’ in Hamady Bocoum (éd.), Aux origines de la métallurgie du fer en Afrique, Une ancienneté méconnue, Paris : UNESCO, p.191.
[5] Akinjogbin I. A. (2002), ‘’L’impact du fer en pays yoruba’’ in Hamady Bocoum (éd.), Aux origines de la métallurgie du fer en Afrique, Une ancienneté méconnue, Paris : UNESCO, pp.49-56.

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