Un exemple parmi tant d’autres, mais emblématique de cette sanglante période de résistance noire armée, montre à quel point le combat a conduit les Noirs à une juste conscience d’eux-mêmes. C’est l’exemple de Gabriel Prosser, en Virginie
Profondément inspiré par le récit biblique de Samson, Gabriel, esclave près de Richmond en Virginie, en vint à penser qu’il avait été désigné par Dieu pour être le libérateur de son peuple. Ce jeune homme, d’une grande force physique et mentale, partageait ses convictions avec d’autres captifs. Il commentait avec eux les versets de la Bible, expliquant que ces récits renvoyaient au moment présent – l’été 1800 – et annonçaient la délivrance de leur peuple. À ses frères, il lisait ce verset :
« Quand il arriva à Lehi, les Philistins vinrent à sa rencontre avec des cris de triomphe. Alors l’esprit du Seigneur s’empara de Samson : les cordes qui liaient ses bras et ses mains cédèrent aussi facilement que des fils de lin brûlés. Samson trouva la mâchoire d’un âne récemment tué, il la ramassa et s’en servit pour massacrer mille hommes… Samson fut le chef des Israélites pendant vingt ans à l’époque des Philistins. »
Gabriel expliquait que ces cordes et ces lanières étaient les chaînes de l’esclavage. Et les Philistins ? bien entendu, c’étaient les maîtres esclavagistes. Gabriel et ses camarades voulaient voler ou fabriquer des armes (la mâchoire d’un âne), puis juger les esclavagistes (Philistins), bâtir un royaume noir près de Richmond et vivre en liberté.
Sa manière inspirée et magistrale d’interpréter la Bible fit venir à lui de nombreuses personnes. Il convertit aussi à sa cause sa femme, Nanny, et ses frères, Martin et Salomon. Il fut bientôt à la tête d’un millier de rebelles.
Gabriel étudia le terrain, vérifia où étaient les magasins d’armes. Puis, alors qu’ils stockaient armes et munitions, ses compagnons et lui décidèrent de la nuit du déclenchement de la révolte. Tout était prêt.
Quelques heures avant le début de la rébellion, deux esclaves, Tom et Pharoah, dénoncèrent le complot à leur maître, qui en avertit immédiatement James Monroe, le gouverneur (et futur président des États-Unis de 1817 à 1825). Monroe mobilisa de toute urgence 650 hommes et déclara l’état d’alerte.
C’est la fin de l’après-midi. Gabriel et ses mille frères d’armes marchent sur Richmond sous une pluie violente qui rend les chemins boueux et impraticables.
La troupe décide de se séparer ignorant qu’elle a été trahie.
Un escadron d’esclaves armés d’outils de ferme, de quelques fusils et de la parole inspirée du Samson noir s’évanouit dans la chaude nuit d’août, à quelque dix kilomètres de Richmond, attendant un nouveau signal.
Le signal ne viendra jamais. Dans les jours qui suivirent, de nombreux rebelles furent arrêtés, y compris Gabriel Prosser, le chef charismatique.
Aucun d’eux ne donnera d’informations sur la préparation de la révolte. Monroe rencontra Prosser, et écrira plus tard : « Il semblait avoir décidé de mourir et de ne rien dire au sujet de la conspiration. »
Gabriel et au moins 35 rebelles furent pendus.
Mais pour des millions d’esclaves, Gabriel n’est pas mort. Il continue à vivre dans les mémoires, dans les chants, les légendes, les récits que l’on se raconte la nuit, et surtout dans l’esprit de résistance d’un peuple opprimé.
Mumia Abu Jamal We Want Freedom