TONY HARRISSON : « ON DOIT ÊTRE FIER DE CE QU’ON EST »

NOFI vous fait découvrir en exclusivité Tony Harrisson, aka Tony Mpoudja, acteur, comédien et réalisateur. C’est dans un petit café de Montmartre à Paris qu’il accepte de répondre à nos questions pour un entretien sans tabous. Touche-à-tout et passionné, Tony Harrisson est un artisan au service de l’ouverture des esprits et des communautés

Propos recueillis par Sarah KOUAKA pour NOFI

On se souvient de Toussaint, premier rôle masculin du film La Squale, de Fabrice Génestal, sorti en novembre 2000. Depuis, le jeune homme de 33 ans poursuit son chemin sur les planches et à l’écran.

 

En tant que jeune Noir ayant grandi en banlieue, ton premier rôle de cinéma dans La Squaleétait-il ton propre personnage ?
Pas du tout. On m’a proposé ce rôle lors d’un casting sauvage. Christel Baras, la directrice de casting, m’a proposer d’auditionner pour le rôle de Toussaint. Normalement tu fais deux, trois essais maximum, mais là j’en ai passé douze ! J’y allais tous les jours sans savoir si je serais pris. Le réalisateur voulait savoir si je pouvais tenir le rôle, parce qu’il suffisait que je sourie pour avoir l’air trop gentil. On a fait un gros travail de composition avec une coach. Donc ce rôle était bien différent de moi.

D’autres candidats étaient vraiment semblables au personnage. Ils avaient pratiquement fait les mêmes choses que dans le scénario. Du coup, face à l’image, ils étaient comme bloqués, c’était comme un effet miroir. Moi, je connaissais très bien cet univers car j’en suis issu, mais j’avais le recul, la distance par rapport au sujet, et au personnage. Ils ne m’ont pas pris parce que j’étais le personnage, mais parce qu’ils savaient que je pourrais l’interpréter.

Cela t’a-t-il aidé pour la suite de ta carrière ?
Oui, parce que c’était le rôle masculin principal. Grâce au rôle de Toussaint, j’ai obtenu un prix d’interprétation au Festival de Paris en 2001, ce qui m’a donné une légitimité pour poursuivre ce métier. La Squale a bien marché, et j’ai pu continuer à travailler en tant que comédien. Le film est allé jusqu’aux Césars, et même si on n’a pas gagné, c’était formidable pour un premier film.
C’est plus tard, quand on a commencé à me proposer toujours le même genre de rôle de racaille, que j’ai dû faire un travail pour apprendre à refuser de m’enfermer là-dedans. Je n’ai pas de problème avec les rôles de dur, c’est comme un rôle de gentil ou de toxico, il faut savoir tout jouer. Mais le scénario doit être bien écrit.

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Tu joues au théâtre et au cinéma, où te sens-tu le mieux ?
Au théâtre, j’ai l’impression d’être à la maison (rires). Et j’ai l’habitude de la scène, même musicalement. À une époque, je faisais de la musique avec un groupe qui s’appelait « Tony et les Cyclopes ». C’était entre rock et rap, et on a donné pas mal de concerts.
Maintenant, je réalise des musiques de films, en France ou en Allemagne. Je suis auteur, ou je travaille sur commande. C’est arrivé après le film « Dans tes rêves », avec Diziz La Peste, où je jouais le personnage de GUN son ennemi ; j’étais coaché par Kool Shen (NTM). On a travaillé pendant un mois, j’ai commencé à vraiment aimer ça, et puis il m’a donné son feu vert, donc ça m’a mis en confiance et c’est comme ça que je suis (re)venu à la musique.

Tu te fais appeler Tony Harrisson, pourquoi ce changement de nom ?
Je m’appelle Tony Harrisson Mpoudja. Harrisson est mon second prénom. Je me suis toujours fait appeler Tony Mpoudja, mais il y a deux ans et demi, ma mère nous a malheureusement quittés. J’ai gardé mon nom civil, mais pour mon nom d’artiste, comme elle m’appelait souvent Harrisson quand j’étais petit, bah j’ai décidé de le rajouter. C’est une sorte d’hommage.

Originaire d’Afrique et des Caraïbes, quels rapports entretiens-tu avec ta culture et quelle importance a-t-elle dans ton parcours personnel ?
Je suis issu d’une famille dont la culture n’était pas française. Ma mère était Antillaise, mon père Camerounais, donc la culture commençait déjà à la maison. Ça passe par l’alimentation, l’art, les langues… A part les langues que m’ont apprises mes parents, je m’intéressais à l’art.
Le théâtre est venu  très tôt, j’ai commencé par en lire. Je pense que c’est ce qui m’a sorti un peu de ma situation de petit mec de cité et m’a amené à devenir acteur et auteur. Au théâtre, Peter Brook, un grand maître de son art, a éveillé ma curiosité vers beaucoup de choses.
Plus tard, j’ai été éveillé à la peinture, comme on voyageait énormément, je faisais tous les musées. Dès qu’on arrivait dans une ville, j’essayais de prendre les peintures en photo, que je montrais ensuite à mes potes de cité pour partager avec eux ce que j’avais vu de « mortel ». On était déjà dans la culture, la curiosité. Quand je lisais une pièce, j’essayais de leur expliquer dans un langage à nous, pour qu’ils puissent avoir le jus de l’œuvre. J’avais envie de tout découvrir, tous les artistes, tous les auteurs, tous les livres, tous les films, échanger quoi. Et aussi la culture des autres, quand tu tournes beaucoup tu voyages, donc s’intéresser aux cultures locales, connaître l’histoire du pays, c’est important.

As-tu toujours vécu ta culture comme une richesse ?
On doit être fier d’être ce qu’on est. Dès l’instant où tu vois les choses de cette façon, ça ne peut qu’être positif. Evidemment, dans les métiers de l’image, nous représentons notre histoire, notre éducation. L’un des seuls moments de la cérémonie des Césars que j’ai aimés, c’est quand François Cluzet a dit qu’« un bon acteur, c’est un bon humain ». Pour moi, un « bon humain » est quelqu’un de fier, à l’aise, bien dans ses baskets. Donc, bien sûr, ma culture m’a servi. Le fait d’être issu d’un mélange, d’être bilingue — ma mère parlait créole, mon père parlait pijine — m’a fait aimer les langues. J’en parle cinq, donc ça m’a nourri. Ma culture, mon éducation ont influé sur ma façon de voir les choses, comme, parfois, la pudeur que je peux avoir. Il y a des rôles que je ne me vois pas interpréter, parce que c’est inscrit dans mon code éducatif. Mon éducation m’a aussi permis d’être un battant, de toujours aller de l’avant, ne pas laisser tomber et d’être sérieux dans ce que je fais. C’est en moi, même si j’ai envie de faire des conneries, le bon côté de la culture que m’ont transmise mes parents fait que je ne me perds pas.

Tu as beaucoup voyagé en Afrique pour, justement, promouvoir la culture ; selon toi, quel rôle peut-elle jouer pour le développement du continent ?
Je pense que l’Afrique ne pourra se développer que quand sa culture sera développée à travers le monde. La richesse de la culture africaine est énorme, déjà musicalement, je pense qu’on a inventé les premiers rythmes.
L’Afrique pourra aussi se développer grâce à à des programmes de qualité à la télévision ; mais pour avoir ces programmes de qualité et donner la chance à des acteurs et des réalisateurs d’émerger sur ce continent, il faut du matériel. L’aspect technique intervient lourdement dans le développement de la culture, donc il y a toute une logistique à mettre en place pour que l’Afrique ait ces bases et s’épanouisse à travers le monde.
Je suis allé dans des pays culturellement géniaux : de la musique partout, des artistes autodidactes qui savent jouer d’un instrument, coudre, peindre ou sculpter des choses magnifiques. Au Burkina Faso ou au Mali par exemple, il y a des sculpteurs exceptionnels, mais on en parle très peu.
L’un de mes premiers voyages en Afrique étant adulte, c’était à Ouagadougou au Burkina Faso. J’y ai rencontré un collectionneur d’art africain. J’ai acheté énormément de toiles et de meubles artisanaux chez lui, pour décorer ma maison ici. Beaucoup de membres de mon entourage ont voulu me les acheter. J’étais tellement fier d’avoir pu contribuer à diffuser la culture africaine en achetant de l’art. Ce sont ces artistes-là que l’Afrique devrait promouvoir, pour que ce ne soit pas toujours les Européens qui viennent sur place repérer les talents et investir pour les exporter. Les politiques responsables de la culture, et même le plus haut niveau de l’Etat, doivent prendre tout cela en charge. Parce qu’un peuple s’identifie culturellement. Les États-Unis, par exemple : beaucoup de gens ne parlent pas anglais, mais connaissent la culture américaine. Elle nous envahit tous, et on trouve ça normal, alors qu’en fait, les Américains investissent pour mettre en avant leur culture et exporter leurs artistes à travers le monde. La France c’est pareil avec la francophonie. Les dirigeants politiques doivent mettre l’accent sur la culture ; les artistes africains se battent comme ils peuvent mais il faut leur donner cette chance-là, avec du mécénat par exemple. Il faut passer à une modernisation totale. Les Américains ont beaucoup d’avance. Ça va avec leur histoire et le fait que tout est possible, grâce au « rêve américain ». Tous peuvent se rassembler autour de ça. On devrait créer « l’espoir français », c’est pas la même histoire, donc ce serait encore plus intéressant.

Parles-nous de ton actualité…

Le 30 avril doit sortir 24 Jours, réalisé par  Alexandre Arcady. Et en septembre, Fièvres, d’Hicham Ayouch, qui a gagné un prix au Festival de Marrakech, grand festival africain. Le film de Jean-Paul Civeyrac aussi, Mon amie Victoria, dont l’actrice principale, Guslagie Malanda, est noire. C’est l’adaptation d’un roman de Doris Lessing qui raconte l’itinéraire d’une jeune fille à qui il arrive pas mal de galères. Dernièrement il y a eu Braquo. Ça c’est pour l’image.
Sinon, comme je suis aussi auteur, on commence le tournage cet été de mon programme de séries de format court Réplique ! Pour rendre le théâtre plus accessible, je reprend les classiques de théâtre que je résume en trois minutes, sous forme de fictions. C’est un projet que je co-écrit et réalise. Puis Jess et Anthony une pièce que je mets en scène au théâtre du Gymnase à partir de septembre.
Par ailleurs, je travaille, en tant que réalisateur, sur la fin de mon long-métrage Aveugle, prévu pour l’an prochain.

De quoi parle « 24 Jours »?
C’est l’adaptation du livre éponyme issu de la collaboration entre Ruth Halimi, la mère de feu Ilan, et Emilie Fresh, qui retrace les vingt-quatre jours de la séquestration d’Ilan Halimi. J’interprète le rôle de Youssouf Fofana, qui dirigeait le « Gang des Barbares ».

Quel est ton regard sur l’affaire Ilan Halimi ?
J’ai trouvé cet acte odieux. L’être humain, finalement, n’en n’est plus un, il devient une espèce d’animal ; passé un certain cap, il n’y a plus de limites. C’est ce qui m’a beaucoup touché dans cette histoire : la souffrance, l’horreur.

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Et incarner Youssouf Fofana, ça ne t’a pas valu des critiques négatives?
Quelqu’un m’a demandé si je n’avais pas l’impression de faire du mal à la communauté noire en acceptant ce rôle ; mais non. Je ne me vois pas comme un Noir qui prend un rôle de Noir, mais comme un acteur. Ce qui est génial, c’est que même si on te donne des possibilités restreintes, la qualité artistique permet de sublimer. Pour les emotions, il n’y a pas de couleur.
Le film présente l’histoire sous forme de thriller, un triangle entre le père d’Ilan Halimi, qui a reçu plus de 500 coups de téléphone ; sa mère, complètement paniquée, et Youssouf Fofana qui manipule ses acolytes et organise tout ça en faisant des allers-retours en Côte d’Ivoire. La mise en scène sort du schéma naïf que les médias nous ont servi à l’époque. C’est du suspens, avec beaucoup de tension, t’es happé durant tout le film, on est dans la fiction, même si c’est tiré d’un fait réel. Ma condition pour faire ce film était de ne pas me fixer de barrières ou d’avoir peur de choquer les gens. J’ai essayé de trouver une justesse artistique. J’ai fait beaucoup de recherches, j’ai pris un peu de poids pour le role. Je voulais collecter le maximum d’informations pour créer un Youssouf Fofana sans le caricaturer.  Ça peut être dur d’accepter ce genre de rôle, mais quand on est artiste, on ne doit pas se mettre des limites, c’est du cinéma, notre métier c’est de dénoncer quelque chose ou de rassembler les gens autour de thèmes universels.

Tu es donc Noir et Fier ! Que penses-tu d’une plate-forme comme NOFI qui a vocation à promouvoir l’excellence noire ?

Plus la communauté noire pourra s’autogérer, plus ceux qui sont à l’extérieur auront une attirance positive pour sa culture et pour la soutenir puisqu’elle se soutiendra déjà elle-même. C’est important de ne pas l’oublier : si nous ne passons pas ce cap-là, nous restons assujettis au bon vouloir de ce que les autres ont envie d’écrire dans son histoire.
Une plate-forme comme NOFI, je trouve ça très bien. C’est super que le créateur du concept ait eu les couilles de le faire parce que c’est pas évident. J’adhère à toute initiative qui va dans le sens de l’évolution. Pour que ça génère des énergies positives pour avancer et que les nôtres se disent qu’eux aussi peuvent le faire. Donc très belle initiative.

SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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