Thomas Isidore Sankara est un révolutionnaire anti-impérialiste, panafricain. Élu président du Burkina Faso en 1984, il est assassiné en 1987, à l’âge de 36 ans.
Par Hervé Mbouguen
Thomas Isidore Sankara est né le 21 décembre 1947 dans une famille de la bourgeoisie moyenne, et très chrétienne, qui souhaitait d’ailleurs qu’il devienne un prêtre.
Il ne l’est pas devenu, mais sa foi chrétienne ne le quittera pas, même lorsqu’il deviendra un marxiste convaincu.
Sa carrière militaire commence à 19 ans, avant qu’il ne soit envoyé poursuivre sa formation à Madagascar. Il a donc l’occasion d’observer de ses propres yeux les soulèvements populaires contre la néo-colonisation en 1971/1972.
Il retourne en Haute-Volta (Burkina Faso) en 1972, et participe à la guerre contre le Mali de 1974.
Il va ensuite en France, puis au Maroc où il rencontre en 1976 Blaise Compaoré. Les deux hommes deviennnent rapidement très proches, se considérant comme des frères.
Ils forment, avec Henri Zongo et Jean-Baptiste Boukary Linganile, ROC (Rassemblement d’Officiers Communistes), rassemblement de jeunes officiers, durant la présidence d’Henri Zerbo.
Thomas Sankara est nommé Secrétaire d’État à l’Information en septembre 1981, et fait sensation en se rendant à vélo à sa première réunion de cabinet. Il démissionne avec fracas le 21 avril 1982 pour marquer sa protestation, en s’écriant : « Malheur à ceux qui veulent bâillonner le peuple ! »
Le 7 novembre 1982, un coup d’État place Jean-Baptiste Ouedraogo au pouvoir. Thomas Sankara est nommé Premier ministre en janvier 1983. Après une visite du conseiller aux Affaires africaines français, Jean-Christophe Mitterrand, le fils du président français, Thomas Sankara est placé en résidence surveillée.
Blaise Compaoré organise un coup d’état le 4 août 1983, et le place au pouvoir.
Thomas Sankara au pouvoir
« Tom Sank », comme certains l’appellent, veut être un président différent, et incarne un certain enthousiasme.
Il commence par prendre quelques mesures spectaculaires comme vendre les voitures de luxe des membres du gouvernement, et se déplace lui-même en R5, équivalente à une Twingo d’aujourd’hui.
Il n’hésite pas à reprendre à son compte certaines
thèses panafricaines de Patrice
Lumumba ou de
Kwame Nkrumah.
Il engage une lutte contre la corruption, qui s’est traduite par des procès retransmis à la radio, mais sans condamnation à mort.
Il entreprend également une campagne de reboisement du Sahel, pour stopper l’avancée du désert.
Dans un pays où l’espérance de vie atteignait à peine 40 ans, et qui avait le record mondial de décès chez les enfants de moins de 5 ans, il développe une vaste campagne de vaccination des enfants, et de construction d’hôpitaux.
Il a une conception moderne de la condition féminine, en condamnant la polygamie, en interdisant l’excision, et en nommant plusieurs femmes dans son gouvernement.
Au premier anniversaire de la Révolution, le 4 août 1984, il change le nom de son pays de Haute-Volta (hérité de la colonisation) en Burkina Faso, qui signifie « Le Pays des Hommes Intègres ».
Proche de l’URSS et marxiste convaincu, il décréte la gratuité des loyers durant toute l’année 1985, et entame un programme de construction de logements.
La vision de Sankara ne le limite pas au seul Burkina Faso. Il dénonce avec virulence le néocolonialisme, est un vif pourfendeur de l’apartheid, et fait sensation en s’opposant au paiement de la dette par les Africains. Lors d’un sommet de l’OUA à Addis-Abeba, il s’écriera :
« Je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque mondiale pour payer. »
Comme tout homme, Thomas Sankara fait aussi des erreurs. Dans l’enthousiasme de la révolution, il remplace quelque 2.600 instituteurs par des révolutionnaires peu qualifiés.
Pour faire contre-poids à l’armée, il encourage la création de sortes de milices qui finiront par créer de l’insécurité.
Il musèle la presse, et fait mettre en prison quelques-uns de ses opposants.
Lors du quatrième anniversaire de la révolution, Sankara reconnaît quelques erreurs, et décide d’infléchir certains aspects de la révolution. On lui prête notamment la phrase: « Je préfère faire un pas avec le peuple, que cent sans le peuple. »
L’attitude de Sankara, et la grande popularité dont il jouit au sein de la jeunesse africaine finissent par lui attirer la méfiance de ses voisins, et de certains pays occidentaux, dont la France.
Des rumeurs de complot bruissent au Burkina Faso ce pays qui, comme on l’a vu, a souvent été agité par des coups d’État. Sankara, comme tous, les entend, et on lui prête les propos suivants, difficiles à vérifier, mais qui contribuent à grandir sa légende après sa mort: « On peut tuer un homme, mais on ne peut pas tuer ses idées », ou, commentant l’attitude de son « ami » Blaise Compaoré : « Le jour où vous entendrez que Blaise Compaoré prépare un coup d’État contre moi, inutile de me prévenir. Car ce sera trop tard. »
Ce qui est certain, c’est que Compaoré ignore totalement les recommandations de Sankara et vit dans le luxe.
Il a épousé un membre de la famille du président ivoirien Houphoüet-Boigny.
Une Côte d’Ivoire très proche de la France, qui digère mal les discours de Sankara, craignant qu’il fasse tache d’huile en Afrique.
Le 15 octobre 1987
Thomas Sankara est en réunion avec des conseillers quand des bruits d’armes automatiques résonnent. Il aurait dit à ses conseillers : « Restez, c’est à moi qu’ils en veulent ».
Il sort du palais, en short, les mains en l’air, mais visiblement les mutins n’avaient pas pour consigne de l’arrêter, mais de l’assassiner. Quelques rafales mettent fin à sa vie, ainsi qu’à celle de douze de ses conseillers.
Comme pour tuer le symbole une seconde fois, il sera enterré à la va-vite, et de façon quasi anonyme.
L’onde de choc provoquée par son décès, dans la jeunesse africaine et notamment burkinabé, a poussé le régime à lui donner une sépulture plus convenable.
Dès la mort de Sankara, son « ami » Blaise Compaoré prend le pouvoir, et prétendant avoir agi ainsi parce que Sankara projettait de l’assassiner. Ses propos n’ont pas convaincu grand-monde.
Au lendemain du coup d’Etat, une journaliste lui pose la question suivante : « Avez-vous avez un regret ? » Compaoré répond : « D’avoir perdu un ami bien sûr, et un regret aussi qu’à un moment de sa vie il [Thomas Sankara] ait pensé à nous liquider. Dommage. »
Cette réponse, donnée il y a plus de vingt ans, est une des très rares évocations publiques de l’assassinat de Thomas Sankara par Blaise Compaoré.
Dans le documentaire de Robin Shuffield, « Sankara, un homme intègre », le capitaine Boukari Kaboré, ex-militaire proche de Thomas Sankara, affirme qu’il avait demandé à ce dernier « la permission de mettre de l’ordre », c’est-à-dire d’arrêter Blaise Compaoré car ce dernier « planifiait un projet d’assassinat ». Sankara lui aurait alors répondu : « L’amitié ne se trahit pas, ce n’est pas à nous de trahir l’amitié, c’est à eux de la trahir. »
À ce jour, Blaise Compaoré est toujours président du Burkina Faso.
CITATIONS :
« Sache que le corps grossier est pour toi ce que la maison est pour le locataire. »
« La maladie ne se guérit point en prononçant le nom du médicament, mais en prenant le médicament. »
« L’on devient ce que l’on connaît. »
« Il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence. J’entends le vacarme de ce silence des femmes, je pressens le grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J’attends et espère l’irruption féconde de la révolution dont elles traduiront la force et la rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d’opprimées. »
« Nous serions les plus grands, les plus beaux et les plus forts si nous luttons tous contre un même ennemi sans vouloir partager une infinie douceur envers le pouvoir de titan du colonialisme, aussi persistant sur plusieurs manières ! L’unité et le progrès du bien de notre peuple, c’est ça le vrai changement de l’Afrique. »
« Tout homme doit avoir des amis et des ennemis.. »
« Il faut nourrir d’abord chaque Africain, l’instruire, le soigner, le vêtir, et également lui donner la possibilité de son épanouissement culturel pour son expression quotidienne. »
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