Toute personne familière à l’histoire du Moyen Congo vous parlera sans hésitation de Sa Majesté la reine Ngalifourou. Et pour cause, il s’agit de l’une des personnalités les plus charismatiques de l’histoire du pays, la personnification même de la puissance du Royaume des Tékés.
Toutefois, aussi exceptionnelle que fut la Reine des Tékés, certains risquent de trouver en elle une excentricité hors norme. Malheureusement pour ces derniers, ces quelques lignes ne suffiront pas à justifier le caractère curieux du personnage, et d’ailleurs, là n’est pas le but de ce récit.
Par Natou Seba Pedro-Sakombi pour Reines & Héroïnes d’Afrique
Née en 1864 à Ngabé, cette femme extraordinaire a fait briller le Royaume des Tékés de mille feux pendant plus d’un demi-siècle.
Son nom signifie « la maîtresse du feu ». Fille de Bokapa, elle épousa le Makoko Ngayouo (« makoko » était le titre pour désigner le roi), comme seconde épouse à l’âge de 15 ans .
En 1879, on la nomma « gardienne du Nkwe Bali », ce qui fit d’elle l’épouse en chef. Elle régna en véritable exemple de dignité, de force et d’intégrité. Et à la mort de son époux, Ngalifourou fut choisie pour monter sur le trône à cause de sa grande sagesse.
Comme le veut la tradition, elle épousa les différents rois qui se succédèrent à Mbé, capitale du royaume, mais son attachement allait à second mari l’Onkoo Ngaywo, à tel point qu’à la mort de ce dernier, elle décida d’habiter près de sa tombe, à Ngabé.
On retient également de Ngalifourou l’énorme pouvoir et l’influence qu’elle eut sur les rois. Elle exerça la double fonctions de reine et de gardienne suprême de l’armée de Nkwe Mbali.
Mais afin de mieux cerner le pouvoir attribué à la souveraine des Tékés, il est essentiel de rappeler le système de couronnement chez les Tékés où nul ne devenait roi par sa propre volonté.
Le couronnement chez les Tékés
Le choix d’un nouveau souverain se faisait selon des règles strictes, en suivant un rituel spécifique et hautement hermétique.
Le candidat devait venir des six branches les plus importantes de la lignée royale. Et ces six familles royales étaient représentées par un total de vingt dignitaires. Ensemble, ils formaient un collège électoral appelé Ikil-Mpuh, qui se réunissait à Mbé afin d’examiner les différents candidats. La sagesse était la qualité la plus recherchée chez chacun d’entre eux. Cependant, une fois le makoko sélectionné, seule l’autorité suprême, le ngantsibi, pouvait lui donner sa bénédiction. En fait, même si cette procédure exigeait la participation de plus d’une personne, la décision finale revenait à un seul.
Ce système ressemble étrangement et terriblement à celui des Etats-Unis où l’élection d’un nouveau président doit être ratifiée par la Cour Suprême. Cette dernière décision revenait donc à la reine Ngalifourou. Elle avait le pouvoir de consacrer le nouveau souverain lors d’une cérémonie secrète. Encore une fois, nous pouvons relever une similitude avec les cérémonies d’investiture des monarchies européennes qui se terminent par un transfert de couronne.
Il est toutefois utile de rappeler que la cérémonie des couronnements chez les Tékés revêtait un caractère spirituel et mystique, car le makoko recevait donc son énergie spirituelle de la reine.
Le peuple Téké demeure le groupe ethnique du Congo qui, aujourd’hui, perpétue encore les anciennes traditions.
La reine et le makoko sont toujours considérés avec autant d’estime, et ensemble, ils forment le lien entre le monde visible et invisible, la force divine et vitale qui fait vivre Nkwe Mbali.
Ngalifourou et la colonie française
Pour revenir au rôle qu’a joué la souveraine des Téké dans l’histoire, il est essentiel de rappeler le respect et l’importance qu’elle a su avoir aux yeux des colons français. Beaucoup n’apprécient d’ailleurs pas cette attitude coopérative et collaborative qu’elle a entretenue avec ces derniers.
Il faut cependant comprendre la curiosité des Français face à cette souveraine hors du commun :
trente ans après la mort de Pierre Savorgnan de Brazza (explorateur français d’origine italienne qui a ouvert la voie de la colonisation française en Afrique centrale et de qui la ville de Brazzaville tient son origine), les femmes françaises occupaient encore des places de femmes au foyer. Elles n’avaient ni le droit de voter ni le droit de participer aux activités politiques et administratives.
Alors que la plus grande préoccupation de l’administration coloniale était de « civiliser » la société africaine, la position qu’occupait Ngalifourou était une rare exception.
Aux yeux de la civilisation africaine, l’entreprise européenne n’avait aucun caractère progressiste, bien au contraire, les changements que les colons étaient venus apporter mettaient des barrières à son évolution. La souveraine des Tékés a sans doute voulu trouver le moyen de préserver certains droits à son peuple en les négociant en échange de certains privilèges.
Ainsi, la place que les Tékés avait concédée à la reine Ngalifourou lui permettait de traiter directement avec les autorités coloniales les plus importantes.
La souveraine rencontra le Général de Gaulle à plusieurs occasions. Et c’est notamment grâce à Ngalifourou que les Français parvinrent à vaincre les troupes nazies dans les déserts africains, victoire qui conduisit à la libération de Paris en août 1944, car c’est la reine, suite à une discussion avec de Gaulle lui-même, qui envoya les soldats tékés pour venir en aide aux soldats français.
Suite au rôle que la souveraine a joué dans cette bataille entre les Français et les nazis, la France lui remit des décorations militaires, civiles et coloniales : la Croix de chevalier de la légion d’Honneur, les décorations du Bénin et l’Etoile d’Anjouan.
Elle fut également détentrice d’une épée qu’on appela « l’épée de Brazza » que l’explorateur lui avait confiée en 1923.
Ngalifourou mourut le 8 juin 1956, et fut enterrée un an plus tard dans un tel faste qu’on en parle encore.
Si beaucoup n’ont pas toujours compris sa relation avec les occupants, on retiendra d’elle cette prestance et ce courage des femmes noires qui ont su marquer leur époque.
… C’était l’histoire de Ngalifourou, souveraine du Royaume des Tékés, une Reine et une Héroïne d’Afrique.