Les Mourides: une puissance économique, religieuse et politique au Sénégal

Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927), communément appelé Sérigne Touba, fut un théologien musulman et le fondateur de la confrérie mouride.

Par Souleymane Diallo

Il a inculqué à sa communauté des valeurs comme le travail, l’endurance, ou encore l’accomplissement de soi. Il a fait du mouridisme une des voix les plus retentissantes du Sénégal. Les mourides participent largement à l’économie du pays et ont fait de Touba, leur capitale, la plus grande ville du Sénégal après Dakar.

La culture du travail

Cette communauté a reçu de son chef spirituel l’enseignement suivant : le salut ne s’obtient pas sans travail. Et c’est la compréhension et l’assimilation de cette pensée qui font du mouridisme, au-delà de l’aspect religieux, une puissance économique qui lui ouvre également les portes du pouvoir.

L’aptitude des mourides pour le commerce est impressionnante, et ils sont présents partout dans les marchés Tilène, Colobane, Hlm, etc. Ceci est le fruit de la doctrine de Cheikh Ahmadou Bamba Sérigne Touba, qui fait du travail le chemin pour atteindre le salut. Ces petits commerçants des marchés de Dakar ajoutés aux grands importateurs et exportateurs font de la confrérie mouride un poids économique dont les Khalifes (descendants directs de Sérigne Touba) ont largement besoin.

Le travail de la terre, la culture, notamment de l’arachide, a toujours été l’activité principale des mourides. La production en arachide dépend en grande partie de Touba, au centre du pays. La production nationale arachidière est estimée à 710 000 tonnes en 2013, pour une superficie de 790 000 hectares, soit un rendement moyen de l’ordre de 0,9 tonne. Touba est donc l’une des principales terres de production d’arachide, avec le Complexe Agroindustrielle de Touba (CAI Touba), une unité moderne de trituration d’huile arachide d’une capacité de 30 000 tonnes modulable ; elle est composée d’une unité de raffinage et d’une unité de fabrication d’aliments pour bétail. La société emploie une centaine de personnes et produit de l’huile raffinée d’arachide. Les tourteaux entrent dans la fabrication d’aliments pour le bétail. Les coques d’arachide alimentent une chaudière.

Un poids économique

En 1970, avec la grande sécheresse qui s’est abattue sur le Sénégal, les mourides ont dû partir chercher du travail à l’extérieur du pays. Les portes du Sahara se sont alors ouvertes avec les premières migrations. D’abord Niamey, au Niger, où l’on retrouve une grande communauté de mourides, en Côte d’Ivoire, au Ghana etc.
Cet exode a gagné les frontières méditerranéennes. Aujourd’hui, les mourides sont en Italie, en France, en Espagne. Dans le sud de la France (Marseille, Nice, Toulon, Fréjus, Cannes, Saint-Raphaël, etc.), leur présence est si importante qu’ils ont constitué la Fédération des Dahiras Mourides (FDM).

Cet engagement et cette aptitude pour le travail font de la communauté mouride une puissance économique, et expliquent les investissements conséquents qui s’opèrent actuellement à Touba sur le plan de l’habitat et du commerce. Sans compter la réalisation de plusieurs écoles coraniques dans la ville. Et ce, grâce à la contribution de nombreux fidèles présents partout dans le monde. Une véritable solidarité, qui a permis de construire la Grande Mosquée de Touba, la plus vaste de toute l’Afrique de l’Ouest. Le mot touba vient de l’arabe ţûbâ qui signifie « bonheur, béatitude, félicité ».

Une machine politique

Une puissance économique qui fait que les politiques sont obligés de prendre en compte cette communauté. Abdoulaye Wade, premier président mouride du Sénégal, lui a donné encore davantage de poids, en s’affichant régulièrement à Touba, notamment pour les présidentielles de 2007 et 2012, et en collaborant avec le puissant marabout Cheikh Béthio Thioune. Wade recherchait un appui politique auprès des chefs religieux de Touba, qui représentent un apport non négligeable de voix pour les élections.

Cette complicité des marabouts mourides avec les régimes au pouvoir peut aussi, parfois, rendre leurs relations difficiles. Pour preuve, récemment, l’épisode Dangoté : un feuilleton à rebondissements opposant le milliardaire nigérian Aliko Dangoté et la famille mouride de feu Khalife Sérigne Saliou. Celle-ci refusait l’ouverture d’une cimenterie arguant que le terrain lui appartenait.
Par peur de représailles de la communauté mouride, le gouvernement sénégalais, sous la houlette de Macky Sall, a, dans un premier temps, accepté la décision de la famille religieuse, avant d’entamer une discrète médiation entre les deux parties pour, enfin, ouvrir la cimenterie qui génère plus de 4500 emplois directs. L’homme d’affaires nigérian a dû verser plus de 6 milliards de FCFA, en novembre dernier, pour obtenir un protocole d’accord avec la famille de feu Sérigne Saliou, et ainsi pouvoir démarrer ses activités.

Certains pensent que « l’Afrique n’a pas d’histoire » ; le mouridisme est la preuve que non seulement cette histoire existe, mais surtout, qu’elle est économique, politique, et traverse aujourd’hui toutes les frontières.arachide4_1_ mosqu_e cheikh_ahmadou_bamba

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