Vers le Xe siècle de notre ère, un État connu sous le nom de Royaume de Benin fut fondé par les Edos, basés dans le sud-ouest du Nigeria actuel. Fameux pour ses plaques et portraits en bronze, il passera, entre la moitié du XVe siècle et le XVIe siècle, du statut d’un petit État à celui d’un empire, l’un des plus puissants et plus prestigieux de l’histoire de l’Afrique précoloniale.
Par Sandro Capo Chichi
Selon la tradition, Bénin a été dirigé par deux dynasties. C’est de la première d’entre elles, la dynastie mythique des Ogisos et, plus généralement, des origines du royaume de Bénin dont nous allons parler ici.
Royaume de Bénin vs République du Bénin
Les dirigeants d’un certain nombre de nations africaines récemment indépendantes, afin de créer une rupture avec leur passé colonial, ont choisi de porter le nom d’un État prestigieux d’Afrique précoloniale. Ce fut le cas de la Côte de l’Or, qui devint le Ghana, sur la base d’une tradition populaire d’après laquelle ses habitants seraient les descendants de populations de l’Empire de Ghana, un puissant État médiéval du Sahel.
Ce fut aussi le cas de la République du Dahomey, qui devint République populaire du Bénin par une volonté similaire de rompre avec le passé colonial. Toutefois, la grande majorité des habitants de la République du Bénin n’a pas, en l’état actuel de nos connaissances, de filiation directe avec le royaume de Bénin, une civilisation fondée par les Edos, une ethnie de l’actuel Nigeria.
Les Edos sont une population d’environ 3,8 millions d’âmes localisées au Nigeria autour de la région de Bénin City, capitale de l’ancien royaume de Bénin.
Leurs cultures et leurs langues sont apparentées à celles des populations du Sud-Nigeria, du Sud-Bénin et du Sud Togo[1] : Yoruba, Igbo, Akpes, Ayere-Ahan, Nupe, Ewe, Fon, etc. On peut penser que ces ethnies, comme leurs langues, n’en faisaient autrefois qu’une qui aurait divergé en plusieurs branches, pour donner naissance à ces populations.
De nombreuses traditions edos prétendent que leur peuple est originaire d’Égypte ancienne, qu’il aurait fui lors de la conquête islamique pour le Soudan, avant de gagner les villes d’Ile Ife, puis l’actuelle Bénin City, toutes deux localisées au Nigeria moderne. Les Edos ne sont pas les seuls Ouest-Africains à prétendre être originaires d’Égypte, et cette tradition n’est pas forcément gage de vérité historique. Des connexions directes entre l’égyptien ancien et la langue edo n’ont à ce jour pas pu être mises en évidence, et des études génétiques comparées entre populations de l’Égypte ancienne et peuples du Golfe de Bénin doivent être produites, afin de pouvoir confirmer cette hypothèse. Des comparaisons, bien que frappantes d’un point de vue visuel entre objets du royaume de Kouch (période Méroé) et ceux de différentes cultures du sud du Nigeria, ne pourront constituer des preuves d’une filiation directe qu’après une analyse de leur signification et de leur évolution dans l’histoire.
On sait que le sud du Nigeria a été habité au moins depuis le Xe millénaire avant notre ère. C’est ce que montre le site d’Iwo Eleru, aujourd’hui situé en pays yoruba et datant de cette période.
Les premières traces d’agriculture dans la région datent en revanche du Ier siècle avant notre ère. Les populations indigènes qui auraient précédé l’arrivée des ancêtres des Edos sont connues sous le nom d’Efa, peuple assimilé culturellement depuis longtemps par les premiers. Il est cependant intéressant de noter que certains de leurs descendants se caractérisent par un physique plus trapu et une peau plus foncée, des traits attribués aux Efas par la tradition.
Au début du IIe millénaire de notre ère, il existait en pays edo environ 130 chefferies, comme nous le montrent des vestiges de remparts de cette époque. L’une d’entre elles acquit progressivement plus d’importance que les autres, ce fut le site de l’actuelle Bénin City.
Les Ogisos, rois du ciel
D’après la tradition, le premier roi de Bénin se serait appelé Igodo. Selon certains, parce qu’il serait littéralement descendu du ciel, selon d’autres parce qu’ayant été très intelligent, il aurait été surnommé Ogiso ou « roi (venu) du ciel ». Ce surnom serait ensuite passé à ses successeurs comme titre de royauté.
Le territoire de Bénin City aurait d’abord été nommé par Igodo Igodomido, qui signifie la « ville des villes », ou la ville d’Igodo. Peu de choses sont toutefois connues d’Igodo. Son successeur Erhe, en revanche, est beaucoup plus connu et aurait été l’un des plus importants Ogiso. Son règne aurait été marqué par la création de nombreuses institutions, de pratiques et d’objets associés au pouvoir.
Selon la tradition, le règne du successeur d’Erhe aurait été moins brillant. Il aurait mis fin à celui des descendants d’Igodo et entraîné une période d’instabilité dans l’histoire du royaume.
Durant cette période obscure, deux femmes, Emose et Orhorho auraient régné. Le règne catastrophique de la dernière aurait entraîné le bannissement des femmes sur le trône pour le reste de l’histoire edo.
Le dernier grand Ogiso fut Oriagba. Son règne aurait été prospère et tous les Ogisos suivants auraient été ses descendants directs.
Le dernier Ogiso, Owodo, se serait distingué par un règne particulièrement cruel, ce qui aurait entraîné les chefs traditionnels à destituer son successeur et à plaider pour l’instauration d’une nouvelle dynastie.
Cette période des Ogisos semble relever du mythe. Elle est ainsi placée par les traditions dans des temps immémoriaux, à une période que l’on ne pourrait pas dater, voire avant l’apparition de la lune et du soleil.
La période de transition entre la première et la seconde dynastie fut assurée par un chef nommé Evian. Il semble s’agir d’un personnage historique, comme l’atteste sa case, qui demeure probablement le plus vieux bâtiment encore sur pied de la capitale.
Evian aurait été très populaire auprès des Edos suite à sa victoire lors d’un combat face à un monstre qui les terrorisait. Il aurait ensuite confié le pouvoir à son fils Ogiamwen. Bien qu’apprécié, Evian n’était toutefois pas un Ogiso, et son choix ne fut pas accepté par les chefs traditionnels edos. Ceux-ci se mirent alors à la recherche d’un souverain légitime capable de fonder une nouvelle dynastie, et ainsi rétablir l’ordre dans l’Etat edo. Ne pouvant plus trouver cette légitimité chez un souverain venu du ciel, ils la cherchèrent dans le lieu d’origine de l’humanité, la ville sainte de la région, la cité mythique d’Ifé en pays yoruba, d’où sera originaire le fondateur de la deuxième dynastie edo Oranmiyan.
Culture et religion
Nom d’origine indigène | Nom d’origine yoruba (récente) | |
Être suprême | O(ri)sa(nobua) | |
Fripon | Esu | |
Divinité associée au système de divination Ifa | Orunmila | |
Divinité associée à la guerre et au travail du fer | Ogun | |
Epouse d’Osa | Obiemwen | |
Divinité associée à la terre et la fertilité | Otoe | |
Divinité associée à la mort | Ogiuwu | |
Divinité associée aux phénomènes atmosphériques | Isango | |
Serviteur d’Ogiuwu | Ofoe | |
Divinité associée à la mer et à la richesse terrestre | Olokun |
Comme de nombreux peuples de la région, les Edos ont pour culture de prestige celle de leurs voisins Yorubas. Cette influence est aisément perceptible dans la sphère de la religion, et notamment dans le nom des divinités edos. Alors que certains d’entre eux ne semblent pas avoir été empruntés au yoruba, d’autres semblent clairement l’avoir été.
Puisque la seconde dynastie, celle des Obas, est présentée par la tradition comme étant d’origine yoruba, on pourrait penser que c’est à partir de celle-ci que la plupart des éléments de culture yoruba, notamment les noms de divinités, ont été introduits à cette époque. Il s’agit évidemment d’une réflexion demandant à être approfondie.
Art et artisanat
La tradition rapporte que lors de la première dynastie, sous le règne d’Erhe, furent introduites des traditions comme la sculpture du bois, le travail du cuir, la charpenterie.
Le roi portait la couronne simple, ede, colliers (adigba), des bracelets de chevilles faits de perles (eguen), l’éventail en cuir rond (ezuzu) et le tabouret plat quadripède (agba).
L’épée ada semble déjà avoir été utilisée, mais simplement pour l’autel des ancêtres.
Les têtes d’ancêtres sculptées en bois y étaient également trouvées.
Société
La société edo de l’époque, gouvernée par l’Ogiso, l’était à un échelon inférieur par les faiseurs de rois appelés Edionevbo. Les indigènes efas disposaient également d’un représentant symboliquement appelé ogiefa « roi des Efas ». Les ogiefas étaient notamment spécialistes en divination et dans les cultes de la fertilité.
Relations extérieures
La construction des premiers fossés et remparts edos, lesquels deviendront, sous la deuxième dynastie, le Bini Iya, la plus grande construction défensive humaine devant la muraille de Chine[2], semble avoir commencé sous l’Ogiso Ere.
Références :
Paula Ben Amos (1995), The Art of Benin, London : publ. for the trustees of the British Museum by British Museum press, 128 p.
Graham Connah (1975), The archaeology of Benin : excavations and other researches in and around Benin City, Nigeria, Oxford : Clarendon press, 266 p.
Jacob U. Egharevba (1968), A short history of Benin , Ibadan (Nigeria) : Ibadan university press, 100 p.
Peter M. Roese et Dmitri M. Bondarenko, A Popular History of Benin: The Rise and Fall of a Mighty Forest Kingdom, Frankfurt am Main: Peter Lang, 391 p.
[1] Roger Blench (2006), Archaeology, Language and the African Past, Lanham, MD : AltaMira Press, p.118.
[2] Kit W. Wesler (1998), Historical Archaeology in Nigeria, Asmara (Eritrea) : Africa World Press pp.143-144