Dans l’art du royaume de Danxome (actuel Bénin) subsistent les traces de ce qui pourrait avoir été une tentative d’écriture de la part des populations fon. Si cette pratique semble avoir disparu, il apparaît intéressant d’en rappeler la nature, élargissant le spectre visible des systèmes d’écriture du monde noir.
Par Sandro CAPO CHICHI
Exemples
On trouve dans certaines œuvres d’art du royaume fon de Danxome (Dahomey) de la fin du XIXe siècle l’écriture de noms à l’aide de signes indigènes. Ainsi, sur un bâton royal de cette époque dédié au roi Dakodonu, sont représentés un briquet, dont la prononciation est da, un morceau de terre, dont la prononciation en fon est ko et un trou dont la prononciation en fon est donu. Ce roi a ajouté à son nom d’origine celui d’un ennemi appelé Donu qu’il tua en le brûlant dans une jarre d’indigo. Le nom Dako n’a vraisemblablement rien à voir avec le symbole da ‘briquet’, bien que Dako eût tué Donu avec un briquet. Dako semble avoir porté ce nom avant l’anecdote en question. Le signe pour ‘ko’ terre semble être indépendant de l’histoire et de la signification du nom Dakodonu. Il semble qu’il en soit de même, pour Donu, le nom de l’adversaire de Dako. Ici donc, pour la représentation du nom de Dakodonu, les caractères utilisés le sont uniquement pour la ressemblance de leurs sons avec les syllabes du nom de Dakodonu.
Il ne s’agit donc pas de pictogrammes dont la seule fonction est d’exprimer le sens de l’objet dessiné.
Il ne s’agirait pas non plus d’idéogrammes dont le but est de représenter une idée à partir d’un objet dessiné dont le sens lui serait relié. Il s’agirait de représenter des syllabes avec des signes dont l’apparence n’a absolument rien à voir avec ce qu’elle représente. Ce type de procédés, proche de ce qu’on appelle les rébus, est une évolution typique des systèmes de communications par le biais de dessins vers des systèmes d’écriture élaborés.
On trouve, dans un autre exemple, une confirmation de ce procédé. Il s’agit du surnom donné à E.G. Waterlot, un administrateur colonial français de la colonie du Dahomey. Parce que celui-ci répondait systématiquement « un ma kanbyo » « Je ne demande rien » à chacune des requêtes et des conseils de ses collaborateurs, il se vit attribuer ce surnom. Lorsqu’ils lui offrirent un bâton royal décoré, celui-ci fut orné de quatre dessins. Le premier représentait un fromager, ‘hun‘ en fon, avec ses feuilles (‘ma en fon’) entouré d’une corde (‘kan‘ en fon) et une intervalle au milieu (‘byo‘ en fon). Là encore, dans un ma kanbyo ‘Je ne demande rien’, rien à voir avec le fromager, les feuilles, la corde ou l’intervalle. On est donc en présence d’une sorte de rébus, comme dans le cas de Dakodonou.
De la même manière, une tenture appliquée fon présente un nom personnel Huha représenté par un croc de boucher (‘hu‘ en fon) et un rasoir (‘ha‘ en fon). Ici encore, le nom personnel huha n’a rien à voir avec le croc de boucher ou avec le rasoir.
Sur certaines tentures appliquées, à côté de ces exemples aujourd’hui compris, il existe des messages qui n’ont pu être interprétés. Ils auraient été destinés à célébrer l’amitié.
En quoi est-ce un système d’écriture ?
On parle de système d’écriture lorsque celui-ci est compris et utilisé par plusieurs personnes et qu’il est systématisé en ce que chaque son, syllabe ou mot représenté l’est par un nombre restreint de signes dont la signification est connue de toutes les personnes familières de ce système. Ainsi, par exemple, l’écriture de la syllabe kan dans ‘un makanbyo’ ne devrait se faire qu’avec une corde, et pas avec la représentation du charbon parce que ce dernier se dit aussi kan en fon.
Il semble qu’il s’agisse d’un système d’écriture dans la mesure où plusieurs personnes l’avaient compris. S’agissait-il d’un système unifié ou de plusieurs systèmes ? C’est une question à laquelle on ne peut pas répondre. Il faut toutefois préciser que ce système semble avoir été restreint aux noms et pas aux noms communs, verbes, adjectifs ou terminaisons. Encore que les écrits utilisés pour célébrer l’amitié, s’ils venaient à être déchiffrés, pourraient nous faire mentir.
L’élaboration d’un nouveau système d’écriture fait généralement suite à trois facteurs : la nécessité, pour un territoire ou une communauté en extension de pouvoir communiquer à travers une longue distance ; le besoin d’utiliser un système d’écriture adapté à sa langue pour des raisons linguistiques ; le besoin d’utiliser un système composé de signes indigènes pour des raisons de prestige : ne pas être ‘accusé’ de s’être inspiré d’une culture pour traiter d’égal à égal avec cette population.
A l’époque des dernières étapes connues de ce système, les Fons venaient de tomber sous domination française. Ils n’étaient pas répartis dans un territoire significativement plus grand que celui qu’ils avaient occupé depuis le début du XVIIIe siècle et ne contrôlaient plus directement celui-ci. Si le Danxome était resté indépendant et avait acquis un territoire plus grand, ce ou ces systèmes d’écriture auraient peut-être abouti à un système unifié représentant l’ensemble de la langue et qui aurait pu servir, à côté d’autres scripts indigènes, à écrire des langues africaines. Reste à étudier davantage ce ou ces systèmes, qui comme on l’a dit, ne sont pas tous entièrement déchiffrés et ne demandent qu’à livrer leurs derniers secrets.