Ketsia Bouanga : auteure engagée

La jeune , 21 ans, fait partie de cette génération d’Africains qui souhaite voir le continent s’émanciper. Son livre « La France, une Justice sans justesse est nulle et sans effet » a été sélectionné pour la Journée du livre politique.

Propos recueillis par SK

Ketsia-Beatrice-BOUANGA-SAFOU

Congolaise arrivée en France à l’âge de 13 ans, c’est par l’écriture qu’elle a choisi d’œuvrer pour son pays, le Congo Brazzaville, en parlant des réalités politiques, ou plutôt de l’absence d’une politique pertinente appliquée par les chefs d’Etats  africains.
Son livre La France, une Justice sans justesse est nulle et sans effet a été sélectionné pour la Journée du livre politique, qui s’est tenue le 8 février dernier au Palais-Bourbon à Paris.
Avec sincérité et perspicacité, elle a accepté de confier à NOFI des bribes de son parcours, mais surtout, son regard jeune et perspicace sur l’état actuel de son pays d’origine.

Qui est Ketsia Béatrice Bouanga Safou ?
Ketsia Beatrice Bouanga Safou, autrement dit « kéké », est une étudiante, auteure de trois essais littéraires : L’ennemi duNoir c’est le Noir, L‘ennemi de l’Afrique, c’est l’Africain-Cahier d’une africaine désenchantée, et France, une justice sans justesse est nulle et sans effet, et du livre Petite yombe de France.
Je suis également membre du Conseil des Jeunes de la ville de Bondy (93).

Pourquoi ce livre ? Comment le projet est-il né ?
Le projet est né simplement du fait que je n’oublie pas d’où je viens.

Le sujet est épineux… il est dangereux de parler politique en Afrique, en particulier au Congo Brazzaville. As-tu bénéficié d’une protection particulière (personnes haut placées, la famille, etc.) pour écrire en toute sérénité ?
Seule la tolérance des diverses opinions politiques apporte un véritable amour de la nation. Empêcher les citoyens de donner leur point de vue, c’est leur demander de cesser d’aimer le pays. Je suis d’une famille modeste, je peux même dire très modeste, mais comme l’avait dit un jour le grand Nelson Mandela, « on ne peut juger un homme que lorsqu’il ne réagit pas face aux injustices ». Moi, j’ai ma plume, j’écris et j’écrirai.

Pourquoi ce sujet te tenait-il à cœur ?
L’Afrique est sans nul doute un continent d’avenir. Il faut être optimiste certes, mais il ne faut pas être optimiste à outrance ou vouloir occulter la réalité. La vérité est que l’Africain a encore de nombreux défis à relever. Alors j’essaie de donner mon point de vue.

Pourquoi avoir choisi un dialogue avec un enfant ? Etait-ce par mesure de sécurité ?
Bonne question. En effet, il fallait se cacher derrière le gamin ! (rires). Mais j’ai choisi de m’adresser à un enfant pour écrire avec des mots simples. C’est aussi pour que ce livre soit lu par tout le monde, en particulier par les jeunes.

As-tu subi des pressions après la publication du livre ? As-tu pris des dispositions particulières pour assurer ta protection ?
La protection, c’est de préciser les sources d’informations. C’est ce que j’ai fait, je n’ai rien inventé. Je subis des pressions chaque jour, souvent, je reçois des mails injurieux, mais ça ne me fait rien ; des gens m’attaquent sur les réseaux sociaux. Je ne réponds pas, on n’est pas écrivain parce qu’il faut se livrer à n’importe quel débat et avec n’importe qui.

Est-il important pour toi de faire cohabiter tes deux cultures (congolaise et française) ?
Bien sûr, et c’est ce que je fais. Il faut préserver ses valeurs, c’est ça être un Homme, et il faut être capable de s’intégrer et de s’ouvrir au monde.

Avec cette double culture, quel regard portes-tu sur la politique actuelle en Afrique ?
Moi, je souhaite bon courage aux jeunes Africains, ce sont eux qui changeront le continent, mais à  condition qu’ils soient bien formés. Ils ne doivent pas suivre le perroquetisme* des doyens, qui ont la tête remplie de théories qu’ils n’appliquent jamais pour sortir l’Afrique de la misère.

En parlant du Congo, selon toi, quel sens faudrait-il donner au concept de développement pour que la jeunesse congolaise puisse s’y identifier sans se perdre ? Doit-il s’entendre au même sens que celui de l’Occident ?
La précarité des jeunes Congolais s’accentue. Je pense qu’il est vraiment temps d’en analyser les sources, l’ampleur et les caractéristiques, afin d’éclairer les politiques qui sont conduites pour eux.
C’est une lapalissade de dire que le Congo est un pays riche, tant il regorge de ressources naturelles. Mais sa plus grande richesse est sa jeunesse. Les jeunes Congolais sont très ambitieux et courageux. N’ayant qu’une seule université à leur disposition, les étudiants congolais triment, se lèvent à 3 ou 4 h du matin pour avoir une place à l’université Marien Ngouabi. Ils sont conscients que l’avenir dépend de cet investissement.
Afin d’aboutir à une politique de développement socio-économique durable, le gouvernement congolais doit écouter et préserver sa jeunesse.
Aujourd’hui, elle est marginalisée. Qu’il s’agisse de l’éducation, de l’insertion dans la vie active, de la participation à la vie nationale, les droits des jeunes au Congo sont de toute évidence bafoués.
Ils sont massivement au chômage à cause de la malgouvernance des dirigeants qui prennent des mesures politiques qui ne cadrent pas avec les réalités de la population.
Comment peut-on envisager de bâtir une nation en mettant la jeunesse à l’écart ? Les conséquences sont inévitables dans les années, voire les décennies suivantes.
La corruption depuis le sommet de l’État conditionne les cerveaux et met en relief des comportements nuisibles qui ne feront que retarder le décollage de ce pays.
Quand le fils du président, du ministre, du directeur ou du député possède d’importantes sommes d’argent sans avoir jamais travaillé, actuellement beaucoup de jeunes Congolais veulent s’enrichir rapidement sans trimer. Ils sont sans convictions, mais veulent tous faire de la politique, parce que la réalité montre que c’est le moyen le plus simple de s’enrichir, et de façon illégale.

Le Congo doit s’inspirer de la Libye (à l’époque du colonel Kadhafi) qui avait la meilleure politique de la jeunesse en Afrique depuis les années 80.
L’État congolais doit encourager les jeunes talentueux, ce n’est pas l’argent qui manque au Congo, c’est la mauvaise volonté qui fait que beaucoup de bras valides se trouvent au chômage  car le pays n’arrive pas à valoriser certains atouts.

Le Congo doit identifier des domaines clés de développement et financer les formations des futurs leaders. Une fois que les jeunes sont formés, l’Etat doit créer des opportunités pour l’insertion de ces jeunes dans le pays en vue d’appliquer ce qu’ils ont appris et d’éviter la fuite des cerveaux.
La jeunesse congolaise ne pourra pas relever les défis qui l’attendent si, durant sa formation, elle vivote dans des systèmes tels que le perroquetisme.

Beaucoup de discours et peu d’actions.
Le problème de la jeunesse congolaise, c’est l’incapacité du gouvernement à créer des activités susceptibles de la sortir de la précarité.

Il y a une certaine mentalité, une certaine méchanceté congolaise qui ne permettra jamais l’évolution de cette société. Si bien, que l’homme politique censé aider ces jeunes à trouver une certaine stabilité dans la vie, se permet par exemple d’entretenir des relations charnelles avec de très jeunes filles en échange de cette aide… C’est la confusion totale.
Qui dirige, et qui est dirigé

Es-tu engagée pour le développement et l’indépendance du Congo ? Comment ?
Je cherche comment m’engager pour le développement du Congo, et c’est avec un grand plaisir que j’observe avant d’apporter de l’aide à mes jeunes frères. D’abord, il faut se former ; moi-même, je ne suis qu’une jeune fille de bientôt 22 ans.

Tu connais NOFI, la première plateforme web dédiée à la communauté noire ? Qu’en penses-tu ?
Je souhaite le succès à NOFI, et vous remercie pour cette interview.

 

*Perroquetisme : néologisme de l’écrivain pour décrire une situation de mimétisme exagérée, dénuée de sens et ridicule ; en l’occurrence, la frénésie des dirigeants africains à copier les modèles de gouvernance inadéquats.

 

 

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