Hendrik Witbooi (vers 1834-1905) est un chef de l’ethnie nama de l’Afrique du Sud Ouest allemande dans ce qui est aujourd’hui la Namibie. Connu pour ses écrits annonçant une idéologie préfigurant le panafricanisme, il s’est vaillamment opposé à la colonisation allemande entre 1904 et 1907 lors du génocide namibien par le Second Reich allemand. Witbooi est aujourd’hui considéré comme un héros national en Namibie, apparaissant sur de nombreux billets de dollars namibiens.
Par Sandro Capo Chichi
Origines
Hendrik Witbooi est né à une date incertaine dans les années 1830. Il est le fils de Moses Witbooi, le chef du groupe /Khowesin, de l’ethnie Orlam, un sous-groupe ethniquement mélangé et culturellement influencé par les Néerlandais du peuple nama. Le nom Witbooi (‘garçons blancs’) est une référence aux foulards blancs que ceux-ci attachaient autour de leurs têtes. Eduqué à l’occidentale et fortement influencé par les missionnaires, il grandit dans le contexte de conflits entre Namas et Héréros, et de l’intervention grandissante des missionnaires européens à partir des années 1940, puis de la Grande Bretagne et de l’Allemagne à partir de 1870. En 1880, lors d’un affrontement entre Héréros et Namas, Hendrik échappe de peu à la mort. Il dira de cette occasion qu’elle lui aura permis d’avoir une vision de Dieu : celui-ci lui aurait dit être ‘l’Elu’ et lui aurait ordonné de mener son peuple plus au nord vers la ‘Terre promise’. En 1884, contre l’avis de son père Moses, il mène ses troupes au nord. Lettré, il commence quelques semaines plus tard un journal de correspondances en néerlandais où il fait part de ses relations, souvent conflictuelles, avec les Occidentaux et autres Africains.
L’ascension
Entre 1884 et 1895, Witbooi va s’engager contre l’aval de son père, chef des Witboois dans un certain nombre de conflits et d’alliances avec ses voisins héréros, nama ou européens.
En 1887, Paul Visser le beau-frère et capitaine du chef Moses Witbooi, force ce dernier à abandonner son titre. Il prend sa place de chef. Ce ‘coup d’état’ entraîne Hendrik, qui convoitait aussi ce titre à combattre Visser. Après que Visser ait tué son père en février 1888, Hendrik le tue en juillet de la même année. Il devient alors le chef des Witboois et bientôt, le plus puissant chef du pays Nama. Bien qu’il entre ensuite en conflit avec les Héréros puis d’autres groupes namas, sa correspondance montre clairement des commentaires précurseurs d’une mentalité anti-impérialiste et panafricaine. Ainsi, dans un courrier adressé en mai 1890 au chef héréro Kamaharero qui avait demandé la protection allemande contre lui, il exprime que ce comportement ne mènera pas au vœu de Dieu, celui d’une nation africaine indépendante ; que la protection allemande entraînera la colonisation. Bientôt, il réalise l’ampleur de la menace impérialiste allemande mais refuse en 1892 de signé un traité de protection offert par le gouverneur de la colonie. Pendant quatre ans, il combat les Allemands qui ont pour mission explicite d’’anéantir la tribu des Witbooi’. Celle-ci est en effet jugée dangereuse pour les Alllemands, Witbooi ayant tenté en vain de s’allier avec les Héréros contre les Allemands. Pratiquant la guérilla, il doit se rendre aux Allemands en 1896, acceptant leur souveraineté. Ses hommes seront désormais utilisés par les Allemands pour mener des campagnes contre d’autres Africains.
Après le soulèvement des Héréros contre le pouvoir allemand en janvier 1904, Witbooi décide, en octobre de la même année, de lancer à son tour une offensive. Il ne fait en effet plus de doute que les troupes allemandes, dirigées par le Général allemand Lothar von Trotha s’apprêtent à exterminer les Nama comme ils avaient cherché à exterminer les Héréros. Alors que les Héréros avaient attendu le départ des troupes allemandes pour attendre leur attaque, Witbooi décide d’attendre que celles-ci se soient suffisamment établies dans son territoire pour attaquer. Il est en effet persuadé qu’il s’agit d’une guerre sainte et que la rébellion contre le pouvoir européen est la volonté de Dieu. Pendant un an, Witbooi mènera avec succès des combats contre les Allemands, mobilisant avec succès des tactiques de guérilla. Lors d’une demande de reddition ordonnée par les Allemands, il déclare, en juillet 1905 :
« Me rendre signifierait la mort pour moi et ma nation, puisque je sais qu’il n’y a pas de place pour moi au sein de vous. En ce qui concerne vos offres de paix, que faites vous d’autre que de me donner des leçons comme vous le feriez à un écolier ? Vous ne savez que trop bien que je vous ai rendu plusieurs services en temps de paix, mais dans votre paix, je ne vois rien d’autre qu’une volonté de nous exterminer jusqu’au dernier. »
Witbooi et ses hommes continuent avec succès leur guérilla contre les Allemands, mais lors d’une de ses attaques, il est tué d’un coup de feu à la cuisse le 29 octobre 1905. Ses derniers mots auraient été : « C’en est fini de moi ; que mes enfants aient désormais la paix ». Alors que le sous-capitaine d’Hendrik, l’aîné Samuel Izaak, accepte la reddition, d’autres Witbooi ainsi que d’autres Namas continuent âprement le combat. Ils cèdent toutefois progressivement jusqu’à 1907, où la rébellion cesse. Entre temps, des camps de concentration avaient été établis par les Allemands, entraînant le génocide de dizaines de milliers d’Héréros et de Nama dans ce qui allait constituer le premier génocide du 20ème siècle. La figure du charismatique Hendrik Witbooi allait s’effacer du paysage de l’Afrique du Sud Ouest avant d’y réapparaître, bien plus tard, comme un héros précurseur de la future Namibie, indépendante en 1990. Son arrière petit-fils, le Révérend Hendrik Witbooi, y joua un rôle dans la lutte pour l’indépendance du pays et en tant que vice Premier Ministre du pays. Sa prophétie que la révolte contre le colonialisme était la volonté de Dieu se voyait peut-être alors justifiée.
Bibliographie
Namibie, une histoire, un devenir
Par Ingolf Diener
Nama/Namibia : diary and letters of Nama Chief Hendrick Witbooi, 1884-1894 / edited by Georg M. Gugelberger
The Kaiser’s Holocaust : Germany’s forgotten genocide and the colonial roots of Nazism / David Olusoga and Casper W. Erichsen
Mission, Church and State Relations in South West Africa Under German Rule …
Par Nils Ole Oermann