Au premier siècle de notre ère émerge, dans l’actuelle Ethiopie, un système d’écriture indigène. Créé pour écrire la langue ge’ez, il servira de système d’écriture au prestigieux royaume antique d’Aksoum, puis s’adaptera aux différentes langues et époques pour demeurer, aujourd’hui encore, l’écriture principale de l’Ethiopie moderne.
Par Sandro CAPO CHICHI
Histoire
Les premières traces de l’écriture ge’ez d’Ethiopie remontent au Ier siècle de notre ère, dans la région d’Aksoum, dans la province du Tigray en Ethiopie. Ce système est probablement dérivé d’un autre communément appelé « alphabet sudarabique » et commun au Yemen et à l’Ethiopie.
À une certaine époque, des chercheurs occidentaux marqués par le sceau du racisme concevaient la présence de ce système en Ethiopie comme le résultat d’une colonisation de peuples supérieurs blancs et sémites d’Arabie sur les Noirs africains d’Ethiopie à qui ils auraient apporté la civilisation, dont leur système d’écriture.
Aujourd’hui, toutefois, un consensus de plus en plus grand se fait sur l’improbabilité d’une telle situation. La région de l’Ethiopie et de la Péninsule arabique constitue une sorte de continuum culturel où les deux zones se sont mutuellement influencées sans qu’il y ait pour autant de domination de l’une sur l’autre. L’« alphabet sudarabique » a peut-être été introduit en Ethiopie via la Péninsule arabique, mais cette introduction n’est pas due à une colonisation.
Comme l’écriture sudarabique, l’écriture ge’ez ne marque à l’origine que les consonnes. Toutefois, des différences sont à noter entre les deux systèmes. Certains sons ge’ez inconnus en écriture sudarabique ainsi que les chiffres et nombres ge’ez sont retranscrits par des signes vraisemblablement d’inspiration greco-copte. Alors que le système sudarabique s’écrit dans les deux sens, le système ge’ez s’écrit de gauche à droite obligatoirement. Entre le Ier et le IVe siècle de notre ère, la différence entre les deux systèmes s’accentue : le système ge’ez marque progressivement les voyelles et non plus seulement les consonnes.
Dans des textes du règne du premier roi chrétien d’Aksoum, Ezanas, le ge’ez est entièrement écrit avec des signes retranscrivant les consonnes et les voyelles. Cette vocalisation serait le résultat d’un contact avec des systèmes d’écritures tels que le greco-copte ou le brahmi et le kharoshti, venus d’Inde. Une autre hypothèse est que la plupart des étudiants du système d’écriture ge’ez seraient de langue maternelle étrangère et, ne maîtrisant pas assez la langue ge’ez, ne pourraient pas le comprendre facilement sans la notation des voyelles. Au IXe siècle de notre ère, le ge’ez s’éteint, soit un ou deux siècles avant la disparition, en Europe, du latin parlé. À l’instar du latin avec l’église catholique romaine, le ge’ez continue à être utilisé comme langue liturgique par l’église othodoxe éthiopienne, l’autorité religieuse des chrétiens de la région.
Comme avec les langues romanes héritées ou très proches du latin tel le français, une langue moderne héritée ou proche parente du ge’ez, l’amharique, fut progressivement écrite avec l’alphabet ge’ez. D’abord sous la forme de textes non officiels. Après plusieurs tentatives infructueuses, ce n’est que dans les années 1950 que l’amharique devint la langue officielle de l’empire éthiopien et qu’il fut enseigné comme langue d’enseignement officiel avec l’écriture ge’ez.
Entre-temps, s’étaient aussi développées d’autres langues éthiopiennes comme le suri, le tigrigna, le xamtanga qui allaient devenir officielles aujourd’hui en Ethiopie moderne.
Le système
Comme on l’a précisé plus haut le système ge’ez note les voyelles. Il ne le fait toutefois pas comme l’alphabet latin. Un signe comprenant une consonne indiquera obligatoirement la voyelle ä ou a. Pour signifier une autre voyelle, on ajoute un signe distinct pour chaque voyelle, et pour marquer une consonne sans voyelle, on ajoute le signe de la voyelle i. La distinction entre consonnes doubles et longues n’est pas marquée dans l’écriture. Il existe 26 signes syllabiques avec 7 signes vocaliques, ce qui fait un total de 182 signes. Outre le fait de retranscrire des sons, l’écriture ge’ez possède aussi des valeurs idéographiques. Ainsi, le signe appelé « hoi » invoque l’idée de gloire et de célébration, en plus de marquer le son, « hä » ressemble à deux bras levés vers le ciel. Il s’agit donc d’un extraordinaire patrimoine de plusieurs domaines, vieux de plus de 2000 ans et toujours en usage, qui gagnerait à être étudié en profondeur par davantage de descendants d’Africains fiers de leur héritage.