ERIQ EBOUANEY: « IL FAUT QU’ON ARRÊTE DE CROIRE QU’ON VA NOUS APPORTER DU POISSON, IL FAUT APPRENDRE À PÊCHER ».

L’équipe de rédaction NOFI a rencontré monsieur Eriq Ebouaney, acteur-comédien noir français et international. Cet ancien du cinéma connaît la chanson et a accepté de nous livrer ses projets, ses expériences, ses attentes et ses déceptions

Artiste mais pas seulement, celui qui incarna le grand Lumumba à l’écran est aussi sensible à la condition noire, en France comme en Afrique, et tient la ferme résolution d’oeuvrer pour faire changer les choses. Simple et réaliste, Eriq Ebouaney n’est ni amer ni cassant, mais prêt à faire évoluer l’image de la communauté noire à travers le 7ème art.

Voyageur, comédien, acteur et panafricain convaincu, il nous livre un parcours original, un point de vue de connaisseur et son souhait d’un cinéma plus humain et plus riche.

POURQUOI LE CINEMA ? COMMENT Y ETES-VOUS ARRIVE ?

C’est un hasard total, j’étais commercial et j’avais des amis dans le milieu artistique qui me disaient souvent que j’avais un truc pour faire du cinéma. Petit à petit je me suis retrouvé à jouer des rôles. Je trouvais que pendre des cours de théâtre serait intéressant pour mon boulot, afin d’avoir plus d’aisance avec les clients. J’en faisais deux fois par semaines et j’ai fini par intégrer une troupe, ça m’a plu. Lorsque j’ai réalisé que je pouvais gagner ma vie en faisant ce métier j’ai lâché mon job de commercial et je me suis lancé. J’avais 30 ans, j’ai regretté de ne pas m’être lancé plus tôt. Si j’avais eu le feu sacré plus jeune, je me serai battu beaucoup plus pour obtenir certains rôles.

VOUS AURIEZ OSE VOUS LANCER PLUS JEUNE ? LE MILIEU ARTISTIQUE EST PLUTOT ALEATOIRE

Comme pour beaucoup de choses maintenant. A l’origine, je voulais faire une carrière de sportif, j’étais en sport études en athlétisme. Mais faire ce cursus, une école de commerce, c’était finalement beaucoup plus rassurant pour tout le monde.

Quoique j’aurai peut-être réussit à convaincre mes parents assez tôt, car ils étaient très ouverts d’esprit pour des parents africains. Je n’imaginais pas forcément qu’on pouvait gagner sa vie en jouant la comédie, néanmoins, j’ai toujours eu le complexe de celui qui n’a pas fait « le parcours type » (conservatoire, etc…). Pour le cinéma ce n’est pas forcément nécessaire car, quelques fois les réalisateurs recherchent juste une nature.

Par contre, pour les rôles de composition, je pense qu’il faut quand même apprendre à se mettre dans la peu de personnages différents. C’est surtout le travail de comédien qui demande cette pratique là.

QU’EST-CE QUI EST LE PLUS GRATIFIANT POUR UN ACTEUR, LA SCENE OU L’ECRAN ?

 Le théâtre est plus épanouissant pour un acteur, on peut jouer le rôle sans qu’un réal nous dise « coupé », on est directement en interaction avec le public. C’est à ce moment là qu’on distingue un comédien qui a de la technique et un autre qui n’en n’a pas puisque, si on se loupe, on a des astuces pour se rattraper. Au cinéma, quand ce n’est pas bon on coupe et quand ce n’est vraiment pas bon on laisse faire et on rattrape au montage.

Je dis souvent que le cinéma c’est le métier de technicien car c’est le réal qui décide, alors qu’au théâtre, c’est le comédien face à lui-même et à son public.

Eric Ebouaney's portrait during Brussels' Festival des Cinemas Africains (African Film Festival). He was one of the actors in "Africa Paradis". Commune d'Ixelles, Brussels. April 4, 2009. Photo : Antoine Doyen
Eric Ebouaney’s portrait during Brussels’ Festival des Cinemas Africains (African Film Festival). He was one of the actors in « Africa Paradis ». Commune d’Ixelles, Brussels. April 4, 2009. Photo : Antoine Doyen

VOUS A-T-ON DIRECTEMENT ENFERME DANS DES RÔLES CLICHES AU CINEMA, OU AVEZ-VOUS EU LE CHOIX ?

Moi, j’ai fait du théâtre dans une compagnie qui était décomplexée, la couleur n’existait pas. Quand j’ai commencé le cinéma, c’était du bonus. Je reconnais que j’ai été quand même très naïf, dans le sens où j’étais tellement content de pouvoir gagner ma vie comme ça que je voulais juste travailler. Peu importe les rôles qu’on me proposait. Je me disais que je serai formidable dans ce que je ferai et qu’on me proposerait de plus en plus de choses.

Au bout de quelques années j’ai réalisé que ce n’était pas le cas, qu’il y avait vraiment un manque d’imagination du milieu cinématographique français. Ils étaient très surpris lorsqu’ils me rencontraient, de voir que je n’avais pas l’accent « africain » et donc ils me le demandaient, parce qu’ils m’avaient fait venir pour un personnage qui devait en avoir un. Pointilleux comme je suis, je leur demandais systématiquement lequel ils voulaient, parce que je trouvais ça ridicule, l’Afrique est un continent sur lequel on trouve des accents différents. C’est comme si on me demandait de faire l’accent européen !

Ce qui m’amuse dans mon travail, c’est de prendre ces personnages caricaturaux et de leur donner une dignité.

Y’A-T-IL UN RÔLE EN PARTICULIER QUI VOUS A TOUCHE OU SENSIBILISE A LA CAUSE NOIRE DANS LE MONDE ?

Le premier rôle qui m’a créé en tant qu’acteur et qui m’a fait assumer le fait que c’était un job à part entière, c’est celui de Patrice Lumumba, que j’ai interprété en 2000. J’ai vite vu un parallèle entre le quotidien des noirs et  la vie de Lumumba: Il est celui qui a dit non. Je me suis donc rendu compte que dans les pays occidentaux, dès qu’on disait non, on était tout de suite perçu comme un renégat qu’il fallait à tout prix abattre. Cela est resté d’actualité parce qu’ayant fait mes études en France, je n’avais jamais entendu parler de lui à l’école, et pas beaucoup plus en Afrique d’ailleurs.

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J’ai constaté que ce système était très ancré et que donc ça ne changerai pas, aussi, j’ai commencé à rejeter tous les politiciens en Afrique, car ils sont complices du maintient de cette situation.

J’ai quand même été agréablement surprit de voir que des jeunes de quinze, seize ans me reconnaissaient parce qu’ils avaient vu Lumumba, et qu’il y’ avait finalement un éveil de cette consciences africaine chez la jeunesse. Il faut être dans cet état d’esprit là sans être forcément revanchard, ça ne sert à rien sinon on devient vite aigrit. Il faut juste faire les choses en se faisant plaisir, comme ça on fait plaisir aux autres et ça diffuse un peu de bienveillance et d’amour autour de soi, les gens se respectent aussi grâce à ça.

APRES AVOIR INCARNE CE HERO NATIONAL AFRICAIN, VOUS ETES DEVENU INTERNATIONAL ?

Après Lumumba, on m’a proposé des rôles dans des productions anglo-saxonnes et j’ai pu travailler avec Brian De Palma ou Ridley Scott notamment.

Dans ces productions, ils sont plus pragmatiques. Là-bas on m’appelait l’acteur français donc j’avais plus de chances parce quand on cherchait un français,  je passais l’audition et quand on cherchait un africain ou un carribéen je passais aussi des auditions. C’était assez galvanisant parce que je me disais que tout était possible.

LA VIE A L’AMERICAINE OFFRE DONC PLUS DE PROMESSES ?

J’y allais pour le travail mais vivre aux Etats-Unis ne me disait rien. J’ai vécu à Londres quelques années, j’aime beaucoup le mode de vie européen, la qualité des échanges avec les gens n’est pas la même. Plus tard, je suis rentré en France parce que je me suis dit que c’était en tant qu’acteur noir francophone qu’il fallait faire changer les choses et essayer d’apporter ma patte. Je trouvais dommage qu’après un premier rôle, les noirs songent à partir pour l’étranger.

Toutefois, je comprends aussi, parce qu’il manque de quoi se mettre sous la dent. Donc je suis venu faire de la résistance et je pense que je vais rester faire de la résistance. C’est important, ne serait-ce que pour l’exemple, pour expliquer à la nouvelle génération comment ça se passe dans le milieu.

 

Y’ A-T-IL UNE EVOLUTION DANS LA PERCEPTION FRANCAISE DU NOIR AU CINEMA ?

Une chose est sûre, c’est l’éternel débat dans le milieu artistiquefrançais. Au départ, je ne voulais pas reconnaître que ce manque d’imagination était lié à une forme de racisme, d’ailleurs je ne veux toujours pas le reconnaître. Je pense que c’est un peu se déculpabiliser que de dire ça, parce que finalement, au bout de toutes ces années, les complaintes sont toujours les mêmes.

Les acteurs noirs sont toujours en train de se plaindre en disant qu’il n’y a  pas assez de rôles pour les noirs, que des rôles clichés, ce qui est normal. Je dis qu’il faut arrêter de se plaindre et les écrire ces rôles !

C’est tout à fait normal que l’imaginaire de l’homme blanc soit limité à sa vision et que le regard qu’il porte sur le noir soit caricatural. Quand on a l’esclavage et le colonialisme dans son ADN, on ne peut que raconter des histoires qui caricaturent  le noir à travers ces prismes là. Le noir ne peut donc être que l’immigré, l’africain avec son accent ou le mec de cité. Nous qui avons un autre quotidien, c’est à nous de le raconter. C’est toujours la même histoire, ça ne changera jamais, il faut le dire. Il faut qu’on arrête de croire qu’on va nous apporter du poisson, il faut qu’on apprenne à pêcher.

QUELLE PLACE POUR LA JEUNESSE NOIRE FRANCAISE  DANS LE MINDE CINEMATOGRAPHIQUE ?

Il faut que les jeunes des cités se sentent en confiance, il faut qu’on leur donne cette confiance là. Ils peuvent raconter leurs histoires, même avec leurs téléphones portables, il faut vraiment qu’on s’approprie nos réalités pour raconter nos histoires.

EST-CE QUE VOUS CONDUISEZ, VOUS-MÊME, DES PROJETS QUI TENDENT A REFORMATER CE SYSTEME ?

J’essaye de participer à des initiatives, de parrainer des projets, de dénicher des talents en Afrique et d’y produire des films. Une initiative comme Black Movies Entertainement, je trouve ça génial, ces jeunes filles qui se démènent  pour proposer des films afros qu’on ne distribue pas forcément dans les salles françaises, pour un public intéressé et réceptif. J’ai donc proposé de les parrainer cette année.

J’ai notamment collaboré à un film sénégalais qui s’appelle « Dakar trottoir » D’Hubert Lambadao.

Puis , monter des projets panafricains et afro-européens, c’est-à-dire, être à même de faire un film avec des africains de plusieurs pays différents, qui racontent des histoires à portée universelle. J’ai l’idée, depuis peu, de monter une plate-forme de financement, Blaxploitainment, pour des projets de ce type afin de démocratiser le cinéma et que l’on puisse raconter nos histoires.

On parle beaucoup de Nollywood en ce moment, bientôt, le cinéma nigérian aura sûrement le même impact que le cinéma asiatique. Je pense que le 7ème art permet d’apporter un regard bienveillant sur les cultures. Il faut qu’on puisse raconter des histoires où on est grands, beaux et forts.

L’AFRIQUE REPRESENTE DONC UN TERRAIN DE POTENTIALITE POUR L’AUDIOVISUEL ?

Quand on voit le forum des investisseurs qui a eu lieu récemment aux Etats-Unis, on a la certitude que la croissance africaine est en très net progrès. On assiste à des émergences de jeunes dynamiques, diplômés et sensibles aux exigences modernes. Le numérique se développe en Afrique, alors que le monde occidental est complètement foutu. Donc, tout le monde aura, à l’avenir, l’envie d’immigrer vers le vieux continent. La Chine et l’Afrique c’est l’avenir, il faut le savoir. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a une complicité entre les deux que les occidentaux redoutent. Le problème c’est que nous les africains, on n’a toujours pas comprit ça et pour pouvoir anticiper cette chose là, je pense que le cinéma et la télévision c’est important. Moi, j’ai vu la transformation de la société américaine quand on voyait à l’écran, des noirs avoir des rôles principaux, être présidents. Les spectateurs trouvaient ça ridicule mais ils acceptaient la chose parce que c’était une fiction, et maintenant la fiction est devenue réalité. Je ne sais plus qui disait que quand tu penses fortement à une chose, elle finit par arriver.

PENSEZ-VOUS CELA VRAIMENT POSSIBLE AUJOURD’HUI ?

En Afrique, les talents c’est pas ça qui manque, les personnes fortunées capables de financer un film non plus. Mais on n’en n’a pas encore conscience et il faut que les autorités aussi manifestent de l’intérêt pour ces projets là.

On est bloqués depuis cinquante ans, depuis les indépendances. J’ai envie de poser ma petite pierre à l’édifice et qui m’aime me suive. Les jeunes en Afrique ont besoin de référents, et ici encore plus parce que quand on est noir en Europe, on ne sait  pas si on est d’Afrique ou d’ici. On est sans cesse ballotés, c’est pourquoi j’aime bien cette expression d’afro-européen. Je suis forcément très français, mais, je sais d’où je viens et je sais qu’un camerounais peut pas me la faire (rires). J’essaie de me tenir au courant des mentalités, des évolutions, du fonctionnement, et d’être toujours plus près de la culture camerounaise. Je suis né en France et suis reparti vivre au Cameroun avec mes parents. Plus tard, nous sommes revenus et j’ai reprit mes études au collège. J’ai donc la sensibilité européenne et française et le socle camerounais.  C’est comme ça, finalement, qu’un immigré doit se constituer. Les immigrés italiens ou espagnols n’ont pas rejetée leur culture, pourquoi devrions-nous le faire ?

J’ai mon camarade Sylvestre Amoussou du Bénin qui se démène pour réaliser des films de façon totalement indépendante, sans passer par les organismes classiques et je trouve ça formidable. J’ai d’ailleurs tourné dans l’un de ses films, « Africa paradis », qui était difficile à mettre en place mais qui a pourtant eu un succès qu’on n’attendait pas. Le film a été vu dans des festivals du monde entier.

LE CROCODILE DU BOTSWANGA, C’EST LA CRITIQUE DU POUVOIR D’UN PAYS EN PARTICULIER?

C’est un patchwork de tous les systèmes politiques africains. C’est aussi une façon de dire qu’il y’ a une récurrence de nos dirigeants dans la façon de gérer le pays, qui commence à être super agaçante. C’est vrai qu’il faut éviter, lorsqu’on aborde ce genre de sujets, d’être super frontal. D’un autre côté, il ne faut pas brider les artistes, eux, ont choisit de faire passer des messages par l’humour, ce film a été décrié par un partie de la communauté noire comme Case Départ.

Après, dans la communauté, on soutient rarement un frère simplement parce qu’il a fait quelque chose, on trouve plus facile de lui jeter la pierre, c’est une jalousie qui est très présente entre nous.

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A gauche Eriq Ebouaney, à droite Thomas Ngijol Le crocodile du Botswanga

IL A AU MOINS LE MERITE D’ÊTRE UN FILM FRANCAIS DANS LEQUEL ON VOIT UNE MAJORITÉ DE NOIR DU DÉBUT A LA FIN 

Cette année, c’est vrai qu’en France on a plus de films avec des noirs, mais vous remarquerez quand même que ça reste des films humoristiques.

Dans le cinéma français, un moment donné, il ne faut plus se focaliser sur les circuits traditionnels, il y’ a d’autres canaux de distribution. Il faut se dire qu’on peut tout faire, tout raconter, quitte à ce qu’on montre son film seulement en VOD, ou sur Afrostream qui arrive bientôt.

Il faut que nous, les noirs afro-européens, afro-antillais, soyons dans cette dynamique là et qu’on se débrouille pour trouver de l’argent. Parce qu’on a toujours été sous la perfusion du système occidental avec les aides de la communauté européennes  qui sont tellement importantes et nécessaires qu’elles ont toujours été un élément pur que le cinéma africain existe. Pourtant, on est capables de faire des films avec le système africain aussi: le Maroc par exemple, a aidé beaucoup de productions africaines ce qui fait des films africano-africains.

FINALEMENT, VOUS ETES D’UNE CERTAINE MANIERE UN MILITANT ?

On est tous un peu militant à sa façon. Je n’ai pas d’image en tant que telle, parce que les gens n’ont une idée de moi qu’à travers mes films. Moi je ne fais pas de politique parce que ça ne m’intéresse pas. Je suis un citoyen du monde et ce qui m’intéresse c’est l’humain et les gens, leur sensibilité. De façon utopique, j’avais tendance à croire que la couleur n’existe pas, mais plus je vieillis et plus je m’aperçois que c’est important, que ça revient souvent.

Je veux créer mon réseau de personnes qui sont sur la même longueur d’ondes que moi, qu’ils soient noirs ou pas. J’ai eu de mauvaises expériences avec des africains, ce n’est pas pour autant que je ne travaillerais plus jamais avec eux. Les gens qui sont dans le même état d’esprit que moi et veulent faire avancer les choses pour le bien de l’humanité sont les bienvenus.

 

Les projets d’Eriq Ebouaney sont à suive ici: https://www.facebook.com/blaxploitainment?fref=ts

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SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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