Grande figure de la résistance africaine à la colonisation et à l’impérialisme européens, Béhanzin est le onzième et dernier souverain du royaume de Dahomey indépendant.
Par Sandro Capo Chichi / Nofipedia
Début de vie de Béhanzin
Le neuvième fils de son père, Béhanzin (de son nom de naissance Ahokponou Nyakaja Honsinnyeli) naît vers 1845 d’une prêtresse vodun, qui prendra le nom de Zinvoton, et de Glélé, dixième roi de Dahomey. En tant que prince, il est confié à de nombreux tuteurs, dont son grand-oncle Adandozan, ancien roi de Dahomey déchu en 1818. Très tôt, il apprend l’art de la tenture fon et le commerce. Il fréquente aussi la ville de Ouidah, où il assiste à des cours sur le catholicisme, donnés par des missionnaires, et fréquente charnellement des jeunes filles afro-brésiliennes. Avant 1872, le prince héritier du trône est Ahanhanzo, demi-frère de Béhanzin et autre fils de Glélé. Très aimé du peuple et même des visiteurs occidentaux, Ahanhanzo meurt vers 1875 dans des circonstances mystérieuses.
Certains l’expliquent par la variole, d’autres par un assassinat fomenté par son demi-frère Ahokponou. C’est en tout cas ce dernier qui hérite du trône de Glélé et prend, à cette occasion, le nom de Kondo.
Le contexte de la prise de pouvoir de Béhanzin
La nomination de Kondo en tant que prince héritier apparaît dans un contexte mouvementé. Le royaume vient de se sortir d’un blocus naval du royaume par les Britanniques. Ce blocus faisait suite à un incident dans lequel Kondo aurait menacé le fils d’un commerçant afro-brésilien. À cette période, Glélé, probablement en raison de problèmes de santé, se retire de facto de la vie politique publique du royaume. Bien qu’officiellement choisi par son père comme successeur, la légitimité de Kondo est contestée par son demi-frère, Sasse Koka, soutenu par la puissante Vissessegan, l’une des principales épouses de Glélé. Jusqu’à la mort de ce dernier, Vissessegan et Sasse Koka contesteront la primauté de Kondo, agissant comme les légitimes héritiers du trône.
Le blocus naval terminé, le royaume est toujours en proie au visées impérialistes grandissantes des puissances européennes. Celles-ci sont entretenues par la communauté afro-brésilienne, influente dans le commerce de l’huile de palme. Bientôt, elle concurrence la mainmise du pouvoir royal sur ce commerce. Souvent proches du Portugal, l’une de leurs matrices culturelles, de la France ou du Dahomey, les membres de la communauté favorisent l’influence de chacune de ces puissances sur le commerce et l’avenir du royaume.
L’influence européenne est aussi favorisée par les rivalités entre Dahomey et les royaumes voisins. Ainsi, quand Kondo est élu prince héritier, son rival Toffa, autrefois allié d’Ahanhanzo, du royaume de Porto Novo, pour se prémunir d’une attaque du Dahomey, accepte le protectorat des Français. Ces derniers sont également présents à Cotonou, depuis des accords verbaux dahoméens en 1868 et 1878 retranscrits par les Français par écrit. Toutefois, ce traité est largement ignoré par eux dans les années 1880.
Les Afro-Brésiliens, de leur côté, favorisent la création d’un protectorat portugais dans l’important port de Ouidah. Pour avancer leurs pions dans l’échiquier, les Français réaffirment leurs prétentions sur Cotonou. Le Portugal abandonne son protectorat sous la pression française, et les Français redoublent d’efforts pour obtenir la cessation du traité, mais Glélé résiste jusqu’à sa mort, le 30 décembre 1889, aux ambitions françaises.
La prise de pouvoir de Béhanzin et la guerre
Une fois sur le trône, Kondo prend le nom de Béhanzin, abréviation d’une phrase illustrant vraisemblablement sa prédestination. Il se fait aussi surnommer le « roi requin », image de la réponse qu’il entend fournir à la menace que constituent les envahisseurs français venus par la mer. Il jette Vissessegan en prison. Sasse Soka est nommé ministre de la Justice, puis est éliminé après sa participation à un complot contre le roi.
En 1890, les Français négocient avec le roi. Mais les pourparlers sont brisés par des interventions de Béhanzin à Porto Novo et Cotonou. Les Français répliquent par une arrestation des autorités dahoméennes à Cotonou. En réponse, Béhanzin prend en otage à Abomey, sa capitale, les Français de Ouidah. Des combats ont lieu à Cotonou et à Porto Novo. Dans cette dernière ville, l’attaque des Dahoméens est aussi due à une volonté de détruire des palmiers à huile, principal objet de commerce de la région. Le conflit est favorable aux Français, mais les Dahoméens ont réussi à abattre de nombreux palmiers à huile et à tuer 43 soldats français.
Après le conflit, Béhanzin fait parvenir un grand nombre d’armes des Allemands, leur attribue des privilèges pour le commerce, tout en négociant, en apparence, la paix avec les Français, refusant de leur céder une partie de son territoire. Il tente de rassembler les rois savalou du Nord et adja de l’Ouest, mais sans succès. Il parvient à convaincre le gouverneur temporaire de la sous-région, l’amiral de Cuverville, qui admet qu’une politique pacifique de la France avec le Dahomey est la perspective la plus valable d’un point de vue économique. Il est vite remercié par son pays, qui juge sa réponse outrageuse.
En mars 1892, les Dahoméens, frappés par la famine, attaquent des villages voisins et blessent à l’occasion des membres d’une mission française. Les Français tiennent là leur justification à une guerre décisive contre Béhanzin. Celui-ci réaffirme son autorité sur les villages concernés et se dit prêt à faire la guerre. Il se dit « roi des Noirs » et affirme sa souveraineté sur son territoire, qui n’est pas celui des Blancs et sur lequel il ne cherche pas à avoir d’autorité.
La mission est confiée, côté français, au général Alfred-Amédée Dodds, un métis franco-sénégalais. Après un blocus de la côte pour éviter aux Dahoméens de se ravitailler en armes, les hostilités commencent. De combats féroces à d’autres à Kana, Kpokissa et Dogba, la supériorité technologique française s’impose. Les Français marchent sur la capitale d’Abomey en novembre 1892, mais Béhanzin résiste avant de se rendre, en janvier 1894.
Après cette période, où il a aussi perdu sa mère, il adresse un long discours d’adieu à ses anciens camarades. Il est exilé par les Français. Espérant être emmené pour négocier son sort auprès du « roi de France », il est finalement conduit en Martinique, un territoire français au climat similaire à celui du Dahomey, et dont l’avantage est de le tenir loin de l’Afrique.
Exil et mort de Béhanzin
Accompagné de quatre de ses enfants, quatre de ses femmes, un cousin, son interprète et l’épouse de ce dernier, il vit mal son séjour en Martinique. De plus, pendant son règne marqué par la guerre, il n’a pu enterrer son père de manière appropriée. Il souhaite rentrer au Dahomey, mais n’obtient que l’Algérie où il débarque en avril 1906.
Il y mourra d’une pneumonie, le 10 décembre 1906 dans la ville de Blida. Le seul fils de Béhanzin en exil avec lui, Ouanilo, restera deux années de plus en Algérie pour obtenir son baccalauréat. Devenu entre-temps avocat, il parvient à rapatrier les restes de son père à Cotonou en 1928.
L’image de Béhanzin comme un personnage sanguinaire et négatif propagé par la colonisation perdurera plusieurs décennies encore. En 1976 toutefois, il est réhabilité par la République du Dahomey en tant que héros national. La résistance et le patriotisme africains accueillent alors un nouveau membre dans leur panthéon.
https://nofi.fr/2014/11/les-amazones-de-dahomey-des-femmes-a-ne-pas-provoquer/5120