Né en 1943, Arthur Ashe Jr fut le premier joueur noir à remporter un tournoi du grand chelem.
Par Paul Yange
En plus d’être l’un des meilleurs joueurs de sa génération en atteignant le rang de numéro 2 mondial au milieu des années 70, il n’hésita jamais à s’engager tout au long de sa vie, et à servir les causes qui lui tenaient à cœur, comme la lutte contre l’apartheid. Il fut aussi celui qui permit la détection d’un joueur appelé Yannick Noah. Retour sur la vie et la carrière d’une des plus illustres personnalités du XXe siècle
Arthur Robert Ashe Jr est né le 10 juillet 1943 à Richmond en Virginie. Il est le fils de Arthur Ashe Sr et de Mattie C. Ashe. Il apprit à jouer au tennis assez tôt car son père avait déménagé après avoir trouvé un emploi qui lui permettait d’avoir un logement de fonction.
Le logement était situé dans un quartier réservé aux Noirs, dans lequel se trouvait un parc avec un court de tennis. Parallèlement au tennis, le jeune Arthur était bon élève. En 1950, peu avant son septième anniversaire, sa mère mourut des suites de complications post-opératoires. C’est cette année-là qu’il rencontra Ronald Charity, l’un des meilleurs joueurs de tennis noirs du pays, qui était aussi coach à temps partiel.
Ce dernier s’intéressa au jeune Arthur, avec qui il commença à travailler régulièrement. En 1953, il était devenu clair qu’Arthur était doué pour le tennis, mais avait besoin d’un autre coach pour l’aider à continuer à progresser. C’est ainsi que Ronald Charity le présenta au Dr Johnson, qui sera son coach et mentor pendant la majeure partie de sa vie. Johnson était aussi le coach d’Althea Gibson, une Afro-Américaine qui allait être la première championne de tennis noire de l’histoire. Arthur Ashe continua à progresser et, en 1958, disputa les championnats de l’Etat du Maryland, ce qui constituait le premier tournoi dans lequel il avait à affronter des joueurs blancs.
Pour qu’il continue à progresser en ne rencontrant pas seulement un nombre limité d’adversaires dans la communauté noire, le Dr Johnson l’envoya terminer son lycée à St Louis dans le Missouri et il put jouer contre un certain nombre d’adversaires d’un bon niveau. Ayant gagné de multiples tournois dans la catégorie junior, il commençait à se faire connaître. Il apparut ainsi dans le numéro du magazine « Sports Illustrated » daté du 12 décembre 1960. C’est à cette époque que l’Université de Californie (UCLA) lui proposa une bourse pour qu’il vienne y étudier.
A UCLA, Arthur Ashe s’illustrera de nouveau en devenant le premier Afro-Américain sélectionné dans l’équipe de Coupe Davis américaine en 1963. En 1966, il acheva ses études à UCLA avec un diplôme en gestion d’entreprises. Il était le premier membre de sa famille paternelle à être diplômé de l’université. De 66 à 68, il servit dans l’armée, à West Point (New York) continuant parallèlement à jouer au tennis, participant à la coupe Davis et à d’autres tournois. Toujours amateur, Ashe s’imposa le 9 septembre 1968 à l’US Open face au Néerlandais Tom Okker, qui empocha néanmoins la récompense financière bien qu’il ait perdu.
En raison de son statut amateur, Ashe ne pouvait pas recevoir l’argent. Lors de son retour à West Point, il reçut une standing ovation. En 69, il cofonda avec Charlie Pasarell la Ligue junior nationale de tennis, qui avait pour but d’initier au tennis des enfants qui, autrement, n’auraient jamais découvert ce sport. La discipline et les études étaient également mises en avant, ce qui correspondait bien à la philosophie d’Arthur Ashe d’utiliser le tennis comme moyen de formation à « l’école de la vie ».
L’engagement contre l’apartheid
En 1969, Arthur Ashe chercha pour la première fois de sa carrière à se rendre en Afrique du Sud, un pays qui vivait alors sous une politique de ségrégation raciale appelée apartheid. Etant noir, il se vit refuser le visa d’entrée dans le pays par le gouvernement sud-africain, bien qu’il soit le meilleur joueur américain. Il continua à demander des visas, que l’Afrique du Sud continua à lui refuser. Cela marqua le début de son activisme contre le pays de l’apartheid.
En janvier 70, Ashe remporta l’Open d’Australie, le second titre individuel de sa carrière en Grand Chelem. C’est également cette année-là qu’Arthur Ashe rencontra un jeune garçon de 10 ans lors d’un séjour au Cameroun. Après avoir échangé quelques balles avec le garçon, Ashe déclara qu’il n’avait jamais vu un jeune de cet âge jouer aussi bien. Par la suite, Ashe appela Philippe Chatrier, le président de la Fédération française de tennis pour lui recommander le jeune garçon « prometteur, mais qui ne le resterait pas longtemps s’il restait à Yaoundé ». Le jeune garçon s’appelait Yannick Noah.
En ce début des années 70, il était devenu l’un des joueurs de tennis les plus célèbres du monde. Cependant, estimant que les revenus que gagnaient les joueurs de tennis ne correspondaient pas à la popularité croissante de leur sport, Arthur Ashe se joignit à d’autres joueurs pour créer ce qui allait devenir l’ATP (Association des Professionnels du Tennis), qui devait représenter l’intérêt des joueurs masculins. Deux ans plus tard, il fut élu président de l’ATP.
En 1973, l’Afrique du Sud se décida enfin à lui accorder un visa. Il y disputa notamment un tournoi de tennis, mais sa présence marqua de jeunes Sud-Africains dont un écrirait plus tard : « Sa condamnation de l’apartheid nous fit penser qu’il était l’un de nous ». Alors qu’il commençait à se murmurer qu’Ashe consacrait trop de temps à ses engagements extra-sportifs et plus assez à son tennis, ce dernier remporta le 5 juillet 1975 le titre à Wimbledon en battant Jimmy Connors en quatre sets, gagnant ainsi le tournoi le plus prestigieux du monde sur gazon lors d’une année considérée comme la meilleure de sa carrière. En 1976 il atteignit le rang de numéro 2 mondial, le meilleur de sa carrière. C’est également cette année-là qu’il fit la rencontre de la photographe Jeanne Moutoussamy.
Elle confiera au magazine « Ebony » que le champion ne lui avait pas fait une très grande impression la première fois qu’ils s’étaient rencontrés : Ashe avait en effet déclaré à son attention : « Les photographes deviennent de plus en plus mignonnes », des propos qu’elle avait jugés sexistes de la part de quelqu’un qui semblait un peu trop sur de lui à son goût. Cependant, quatre mois plus tard, le 20 février 1977, ils se marièrent lors d’une cérémonie présidée par Andrew Young, qui était alors ambassadeur des Etats-Unis auprès des Nations unies.
En 1979, Arthur Ashe fut victime d’une attaque cardiaque alors qu’il donnait des cours de tennis à New York. Il fut hospitalisé une dizaine de jours avant d’être opéré un peu plus tard. Il continuait de souffrir de douleurs à la poitrine et décida en 1980 d’arrêter sa carrière de joueur professionnel. Bilan 33 titres en simple, pour 640 victoires et 260 défaites. Bien que s’étant retiré du tennis, Arthur Ashe continua de mener diverses autres activités en parallèle : Il écrivait pour « Time Magazine », pour le « Washington Post », et pour « Tennis Magazine ». Il commentait les matchs de tennis à la télévision, et était toujours actif dans le combat contre l’apartheid.
Lutte contre la maladie et réflexion sur la place de l’athlète noir dans la société contemporaine
Ashe fut nommé cette même année (1981) capitaine de l’équipe américaine de Coupe Davis. Sous sa direction, l’équipe qui comportait des joueurs comme John McEnroe et Jimmy Connors remporta la Coupe Davis en 1981 et en 1982. Au cours de l’année 1981, Arthur Ashe fut également président de l’American Heart Association (l’Association des Cardiaques Américains).
En 1983, Arthur Ashe subit un second pontage coronarien. A la suite de cette opération, afin qu’il puisse se rétablir plus rapidement, il reçut une transfusion sanguine. Le sang utilisé pour la transfusion était malheureusement contaminé, ce qui lui fit contracter le virus HIV. Il apprendrait sa séropositivité cinq ans plus tard, en 1988. En 1983, il créa, en compagnie du musicien Harry Belafonte, l’association Artists and Athletes Against Apartheid, une association qui avait pour objectif de sensibiliser l’opinion sur la situation en Afrique du Sud, et de faire du lobbying en faveur de sanctions et d’un embargo contre le gouvernement sud-africain.
Le 11 janvier 1985, il fut arrêté devant l’ambassade sud-africaine à Washington alors qu’il participait à une manifestation anti-apartheid. Le 21 décembre 1986, sa fille, Camera naquit. A la même époque, il accepta de donner un cours dans une université en Floride (Florida Memorial College) intitulé « l’athlète noir dans la société contemporaine ». Pour préparer ce cours, il chercha dans les bibliothèques des livres détaillant la vie des athlètes noirs américains et s’aperçut que le livre le plus à jour datait de plus de vingt ans. Cela le poussa à travailler sur un livre publié en trois volumes, et intitulé « A Hard Road to Glory » (Une route difficile vers la gloire).
En 1988, il fut de nouveau hospitalisé (pour une opération du cerveau) et les analyses montrèrent qu’il avait une infection bactérienne qu’on retrouvait souvent chez les personnes séropositives. Des analyses supplémentaires montrèrent qu’il était effectivement séropositif. L’information ne fut pas rendue publique. Il continua néanmoins de s’impliquer dans les causes pour lesquelles il s’était engagé et se rendit en Afrique du Sud, au sein d’une délégation de 31 personnes, en 1991, pour voir de ses yeux le changement auquel il avait contribué. Son implication avait été telle que Nelson Mandela l’avait cité comme étant l’une des premières personnes qu’il aurait aimé rencontrer lors d’un voyage aux Etats-Unis.
En 1992, le magazine « USA Today » le contacta au sujet d’un article sur sa maladie, qui était pourtant supposée être secrète. Ashe décida de devancer le journal et convoqua une conférence de presse qui eut lieu le 8 avril 1992. Il y révéla publiquement qu’il était séropositif, ce qui suscita une grande attention de la part des médias, attention que Ashe utilisa pour sensibiliser au sujet de la maladie. Au cours de la conférence de presse, alors qu’il évoquait sa fille et qu’il était submergé par l’émotion, Ashe fut incapable de terminer la déclaration qu’il avait préparée à l’intention des journalistes. Ce fut son épouse qui la termina pour lui.
Dans la dernière année de sa vie il créa la fondation Arthur Ashe for the Defeat of Aids, dont l’objectif était de collecter des fonds pour la recherche, le traitement et la prévention du sida. Malgré la maladie, il continua son activisme. Il fut ainsi arrêté le 9 septembre 1992, quelques mois avant sa mort, devant la Maison-Blanche à la suite d’une manifestation contre la politique américaine vis-à-vis des réfugiés haïtiens.
Le magazine « Sports Illustrated » le désigna sportif de l’année 1992. Deux mois avant sa mort, il créa l’institut Arthur Ashe pour la santé urbaine, dont le but était de s’attaquer au problème des soins de santé pour les populations issues des minorités en milieu urbain. Il consacra les derniers mois de sa vie à écrire ses mémoires, intitulées « Days of Grace ». Le 6 février 1993, Arthur Ashe mourut des suites d’une pneumonie liée au sida. Il était âgé de 49 ans. Son corps fut exposé dans la résidence du gouverneur dans sa ville natale, à Richmond.
Il était la première personne à qui cet honneur était réservé depuis un général confédéré nommé Stonewall Jackson en 1863. Plus de 5000 personnes firent la queue pour s’incliner devant sa dépouille, tandis que plusieurs milliers d’autres assistèrent aux funérailles. Etaient notamment présents le gouverneur de Virginie Douglas Wilder, le secrétaire au commerce Ron Brown, Jesse Jackson, Andrew Young, qui fit l’éloge funèbre d’Arthur Ashe.
Arthur Ashe n’avait que peu de souvenirs de sa mère, décédée alors qu’il n’avait que six ans. Souhaitant que sa fille conserve plus de souvenirs de lui, son épouse prit des photos de lui et de sa fille malgré le fait que sa santé se dégrade. Les photos montraient la joie d’un père et de sa fille ensemble, malgré la maladie. Le livre, intitulé « Daddy and Me » (Papa et moi) sortit fin 1993. Jeanne Moutoussamy-Ashe espérait que le livre apporterait du réconfort aux familles qui avaient vécu la même épreuve qu’elle et sa fille Camera. En 1997, l’Association américaine de tennis décida de lui rendre hommage en donnant son nom au principal stade du parc Flushing Meadows où se déroule l’US Open, qui est l’un des quatre tournois du grand chelem.
« Une des clés importantes du succès est la confiance en soi. »
« Le succès est un voyage, pas une destination. Ce qu’on fait est généralement plus important que le résultat. Tout le monde ne peut pas être numéro 1. »
« Le véritable héroïsme est remarquablement sobre (…) ce n’est pas l’urgence de dépasser les autres à tout prix, mais l’urgence de servir les autres à tout prix. »
« Lorsque de jeunes esprits brillants n’ont pas les moyens d’aller à l’école, l’Amérique en paie le prix. »
« Dès la première fois que j’ai vu Arthur Ashe jouer, j’ai su qu’il était destiné à être un grand champion de tennis. Il n’était jamais satisfait de ses performances, ayant toujours le sentiment de pouvoir faire mieux. C’est la marque d’un champion. » (Pancho Gonzales, ex-champion de tennis américain).
« Lorsque tout sera fini, je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme d’un joueur de tennis. Ce n’est pas une contribution suffisante à la société. Gagner Wimbledon ou l’US Open apporte une satisfaction égoïste, mais ça n’aide personne. »
Date : 10 juillet 1943 – 6 février 1993