Abdou X , Afro-Brésilien de 27 ans, est un chanteur, auteur, compositeur, interprète, acteur, réalisateur « conscient ». Il est à la tête d’un véritable petit empire, Nova Angola Productions, qui commence à s’étendre dans la sphère afro. Qui est cet homme ? D’où vient cet Ovni ? Il a accepté de répondre à NOFI…
Olfa NOFI : Présentation…
ABDOU X : Je m’appelle Abdou X, j’ai 27 ans et je suis artiste dissident d’origine afro-brésilienne. Je réside actuellement à Marseille.
Pourquoi avoir choisi le nom d’Abdou X ? Est-ce une référence à Malcolm X ? Si oui, pourquoi avoir choisi ce personnage ?
Abdou, c’est le diminutif de mon prénom : Abdourrahman. Et pour le X, c’est bien évidemment pour faire allusion au grand frère Malcolm X, dont je me sens très proche, notamment dans le parcours de vie. Certes, le X fait aussi référence à l’ignorance de mon ascendance africaine, comme pour la plupart des afrodescendants du continent américain.
Pourquoi avoir choisi de rapper pour faire passer tes messages, d’où te vient cet amour pour le rap ? Quels/Qui sont tes exemples et références ?
Le rap, c’est l’exutoire de l’écorché vif. C’est brut de décoffrage, tu dis ce que t’as à dire. Du moins, c’est l’essence originelle de cet art, car aujourd’hui ça part un peu dans tous les sens. Le rap n’est pas réellement un choix réfléchi de ma part, ça s’est fait naturellement en réalité. Quand j’étais adolescent, je vivais dans une famille de Blancs, qui m’ont adopté. Mais inévitablement, la rupture a eu lieu à un moment donné, quand j’ai commencé à me tourner vers ma négritude et tout ce qui a trait à la culture noire. À cet âge-là je n’avais pas le bagage ni le recul nécessaire pour ne pas faire preuve de sentimentalisme quand je réalisais peu à peu l’ampleur de l’immobilisme et de l’acculturation dans lesquels baignait la communauté afro. Je me suis replié sur moi-même et puis j’ai lu Nations nègres et Culture de Cheikh Anta Diop. J’avais 15 ans. Ce fut un électro-choc. J’ai eu tellement de haine en moi que je ne cache pas avoir été clairement raciste envers les Blancs que je connaissais à cette époque. En même temps, eux ne s’étaient pas gênés pour m’appeler « le Nègre » bien avant que j’ouvre les yeux. Donc ce trop-plein de haine, je l’ai vidé dans le rap. Et c’est une histoire d’amour qui continue jusqu’à aujourd’hui, même si, actuellement, je suis plus discret dans ce milieu-là. Mes références principales sont deux MC’s de Brooklyn : Jeru the Damaja, pour le côté afro-conscient et Chubb Rock pour la musicalité du flow et le côté « authentique ».
On te qualifie de rappeur engagé et militant, pourquoi avoir choisi la dissidence ?
Encore une fois, c’est quelque chose qui s’est fait instinctivement. J’ai enregistré mon premier morceau à 15 ans, à l’époque je me faisais appeler MC Prince. Ce morceau s’intitulait Hip-hop de la jungle et déjà, on sent la verve consciente. J’ai jamais pu faire des morceaux « spécial plage » ou pour les « clubbeurs ». Chaque rappeur a son style, c’est ce qui fait la diversité du rap.
Après, c’est évident que c’est un chemin controversé. Je veux dire, pour le rappeur qui est réellement « conscient ». Car, aujourd’hui, certains rigolos s’autoproclament « rappeurs conscients » mais sans réellement avoir le savoir qui va avec. Par conséquent, enlève la « science » du mot « conscience » et tu sauras qui sont ces gens. Pour faire clair, c’est le genre de rappeurs qui s’offusquent de la montée en puissance du Front National mais qui ne te dira jamais rien sur la véritable identité des faiseurs de trouble qui nuisent à notre peuple.
Pourquoi ? Car ces mêmes faiseurs de trouble, dont on ne peut dire le nom sans risquer d’être qualifié d’antisémite, sont aussi les employeurs de ces rappeurs. Ces rappeurs-là sont clairement manipulés, je pense notamment à Kery James, qui est un frère que je connais personnellement. Loin de moi l’idée de cracher sur lui pour rien, j’estime ce grand frère, il est talentueux, mais je sais pertinemment que dans sa démarche, comme dans la démarche de tous les rappeurs noirs signés en major, il y a énormément de manipulations et peu d’actions réelles en faveur de leur communauté, en marge des tournages de clip ou des scènes de concerts.
La négritude ça ne rapporte pas. Aujourd’hui, notre musique ne nous appartient plus. Elle s’est fait dépouiller par les sbires des banksters qui se sont infiltrés dans le rap au début des années 90. Ça coïncide étrangement avec l’arrivée du gangsta rap. Mais ça c’est une autre histoire. Tout ça pour dire que si je suis sur le créneau conscient, c’est aussi parce qu’à un moment donné il faut que quelqu’un reprenne le flambeau et dise « Stop » face à toute cette débauche. Le rap, comme toutes les musiques, est une musique noire, c’est notre héritage, elle nous appartient. Et nous seuls en avons les clés. On ne peut plus laisser n’importe qui salir notre art et l’image de nos sœurs dans les clips.
Quels sont tes thèmes de prédilection ?
Je suis un gars de l’ancienne école. Autrement dit, j’aime avoir un thème bien précis pour chaque morceau. J’aime le fait que chaque morceau soit différent et possède son propre univers. Après, bien sûr, des thèmes sont plus ou moins récurrents dans mes albums : la négritude, l’autodétermination, la foi, l’amour.
Que répondre à celles et ceux qui qualifient ta démarche de communautariste ?
La question sous entend que le fait d’être taxé de communautariste renvoie à quelque chose de négatif. Or ce n’est pas le cas. Celui qui qualifie ma démarche de communautaire, et bien il a raison. Il n’y aucune attaque là-dedans. Du moins de mon point de vue. Dans le monde occidental, et plus particulièrement en France, il y a des mots qui font peur. Et cette peur nous empêche parfois d’aller au fond des choses. Pourtant, quand on regarde les choses de manière objective, avoir l’esprit communautaire, ce n’est pas être raciste. C’est en premier lieu, aimer les siens, déborder d’amour pour les siens. Et notre peuple, qui a vécu tant d’épreuves, tant de souffrances, qui a subi des atrocités innommables, qui s’est fait diviser par la haine, notre peuple qui a vécu tout ça n’aurait pas besoin d’amour ? Notre peuple n’aurait pas besoin de se retrouver et de faire le point ? Si. Mais certains esprits malsains jouent sur l’amalgame et la connotation péjorative du terme « communautariste » afin de discréditer les personnes ayant un discours comme le mien. Avoir l’esprit communautaire c’est, certes, être tourné vers les siens et favoriser l’émancipation des siens. Mais à aucun moment il ne s’agit d’exclure les autres. Toutefois, avant de s’unir aux autres peuples, nous devons nous unir entre nous. Je ne connais pas de peuple désuni qui ait pu s’unir avec un autre peuple sans s’unir d’abord lui-même. Donc il faut procéder par étape. Et les consciences commencent à évoluer sur ce plan-là, notamment parmi la jeunesse afro, qui, grâce à internet, a accès à davantage d’informations auparavant réservées à certains initiés, dans certains cercles.
Quelles sont les difficultés rencontrées lorsque l’on s’engage et que l’on dénonce des vérités telles que les tiennes ?
Entendre qu’on est un raciste, être boycotté par des radios, des télés parce qu’on tient un certain discours, c’est parfois difficile. Mais je ne suis pas un sentimental, ça ne m’atteint plus, au contraire, ces choses me donnent de la force pour continuer.
Tu ne fais pas que de la musique ; tu crées, réalises et produis tes propres clips et courts-métrages depuis peu, sous le label NOVA ANGOLA PRODUCTIONS. Présente-nous un peu cette boîte de production et ton équipe…
En fait, cela fait maintenant deux ans que j’ai fondé le label Nova Angola Productions, afin de diffuser et produire mes projets à moindre coût et d’avoir un contrôle total sur le produit fini et sur le message que je veux faire passer.
Nous produisons des courts-métrages, des clips, des albums, des interviews et des vidéos promotionnelles. Il y a deux artistes signés sur le label pour le moment : Amalya et Sad-Mo.
La devise du label est « 100% indépendant 100% neg’marron », de se fait on casse un peu le modèle classique des labels traditionnels. Notre travail ne se fait pas autour d’une équipe stable avec un directeur artistique, un agent, un chargé de communication etc. J’endosse un peu tous ces rôles, et je chapeaute des équipes différentes sur chaque projet. Ainsi, cela permet évidemment d’accroître rapidement notre réseau et nos connexions, du fait qu’à chaque projet nous faisons appel à des gens différents. C’est enrichissant, car nous apprenons beaucoup plus vite du fait de la diversité des compétences qui se présentent à nous. Mais c’est aussi très éprouvant car cela nécessite une logistique bien rodée. Ainsi, il est très courant que nous travaillions en parallèle sur plusieurs projets en même temps. Parfois on peut avoir trois projets en cours avec une vingtaine de personnes qui s’affairent en coulisse pour réaliser ces projets. Et moi, je suis un peu là pour gérer tout ça, donc je ne te raconte pas les maux de tête parfois ! Mais c’est cool, très enrichissant. J’ai pu apprendre des tas de choses que j’aurais mis des années à apprendre si j’avais voulu suivre un cursus de formation classique. Faire des instrus pour les artistes du label, tourner des clips, faire du montage vidéo, jouer la comédie etc. tout ça je l’ai appris sur le terrain, comme ça en autodidacte !
Quels sont les objectifs de ces mini-films, quel est le public visé en priorité ?
Nos court-métrages s’adressent principalement aux nôtres, aux afrodescendants. Car aujourd’hui, lorsque tu allumes la télévision ou quand tu vas au ciné, les rôles rabaissant, les rôles de vilains, de méchants, de gangsters, de chanteurs, de sportifs sont toujours joués par des Noirs. Certe, il y a parfois des exceptions, mais c’est très rare et ce sera toujours un personnage ayant une marge d’action bien limitée au final. Nous voulons sortir de ce cadre. Nous voulons proposer aux Noirs des personnages noirs qui leur ressemblent, des personnages qui ne donnent pas nécessairement un reflet négatif d’eux-mêmes. Car quoi qu’on en dise, le cinéma a un impact sur les nôtres. Nous souhaitons faire en sorte que cette image soit positive et réaliste. Une image fraîche et nouvelle. Nous y travaillons et nous avons des projets totalement innovants et inédits qui, nous n’en doutons point, deviendront des standards dans peu de temps.
Ou sera Nova Angola dans dix ans ? Quels sont vos projets ?
Dix ans, c’est loin. Mais si le Créateur m’accorde de vivre d’ici là, je sais que Nova Angola Productions aura atteint son but. Bouleverser les consciences noires, les réveiller, et leur proposer sur le plan artistique du jamais-vu. Leur proposer des films faits par nous pour nous. Leur proposer un art dissident, que ce soit sur le plan musical ou visuel, qui leur rappelle constamment la richesse et la beauté de notre peuple et notre génie créatif.
Facebook : www.facebook.com/novaangolaproductions
Site web : www.nova-angola.com
Un des clips d’Abdou X: Comme un Zèbre, composé, réalisé, et interprèté entièrement par lui :
https://youtube.com/watch?v=3gnattFwNP4
Un des premiers courts métrages d’Abdou X : Le Clan des Neg’Doubout :
https://youtube.com/watch?v=gqVRxmNhImQ
https://youtube.com/watch?v=gqVRxmNhImQ
https://youtube.com/watch?v=gqVRxmNhImQ
Nous souhaitons bonne continuation et longue route à NOVA ANGOLA PRODUCTIONS.