Le Mahdi du Soudan, l’homme qui vainquit les colons turcs et britanniques

Découvrez comment Muhammad al-Mahdi a rassemblé des disciples et est devenu un missionnaire influent dans le Soudan du XIXe siècle.

Le parcours héroïque de Muhammad al-Mahdi

Le Mahdi du Soudan, l’homme qui vainquit les colons turcs et britanniques
Une carte détaillant l’expansion de l’Égypte ottomane sous la dynastie albanaise et jusqu’à la guerre du mahdisme.

A partir de la première moitié 19ème siècle, le Soudan est sous la domination d’une dynastie ‘turque’ d’origine ottomane également à la tête de l’Egypte.

La brutalité physique et l’oppression économique de cette colonisation vont favoriser l’ascension de Muhammad Ahmad, un leader soudanais qui se proclamera ‘Mahdi’- sauveur de la fin des temps dans la tradition musulmane- et parviendra à vaincre Turcs et Britanniques pour libérer et accéder à la tête de son pays.

Les débuts modestes d’un futur leader

Muhammad Ahmad ibn Abd Allah est né en 1844 sur l’île de Labab, près de l’actuelle ville de Dunqulā (Dongola) dans le nord du Soudan. Sa famille, d’origine modeste, est profondément ancrée dans la tradition islamique. Son père, Abd Allah, était un constructeur de barques réputé qui prétendait descendre du prophète Muḥammad, ce qui conférait à la famille un certain prestige dans la communauté locale. Rapidement après la naissance de Muhammad, la famille émigre vers le sud du Soudan, avant de s’établir au nord de la ville d’Omdurman.

Dès son jeune âge, Muhammad montre un intérêt marqué pour la vie religieuse, ce qui le distingue des autres enfants de son âge. Ce penchant pour la spiritualité est encouragé par sa famille, qui le soutient dans ses aspirations religieuses. Cependant, la mort prématurée de son père oblige la famille à déménager à Khartoum. Ce déménagement marque un tournant important dans la vie de Muhammad, car il commence à fréquenter des écoles coraniques dans cette ville, se plongeant dans l’étude de l’Islam et des sciences religieuses.

Ses frères, désireux de maintenir la tradition familiale, souhaitent que Muhammad suive les traces de leur père en travaillant dans la fabrication de barques. Cependant, Muhammad est déterminé à consacrer sa vie à l’étude et à l’enseignement des sciences coraniques. Un compromis est trouvé : il pourra poursuivre ses études religieuses avant de rejoindre ses frères dans l’entreprise familiale. Cette période de formation coranique s’avère cruciale pour Muhammad, car elle lui permet de développer une profonde connaissance des textes religieux et de la jurisprudence islamique, tout en renforçant sa foi et son dévouement spirituel.

Pendant ses études, Muhammad Ahmad est particulièrement influencé par les enseignements des cheikhs locaux et par les discussions théologiques qui animent les cercles religieux de Khartoum. Il se distingue par son dévouement et son zèle religieux, attirant l’attention de ses maîtres et de ses pairs. Sa soif de connaissance et son charisme naturel commencent à attirer des disciples, marquant le début de son ascension en tant que leader religieux.

La détermination de Muhammad à poursuivre ses études religieuses malgré les pressions familiales et les défis économiques montre déjà les traits d’un leader résolu et visionnaire. Cette période de formation forge son caractère et prépare le terrain pour ses futurs accomplissements en tant que chef religieux et politique.

La formation spirituelle et intellectuelle de Muhammad Ahmad

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Étudiants à l’université al-Azhar dans les années 1880.

Muhammad Ahmad envisage initialement de poursuivre ses études religieuses au prestigieux centre d’apprentissage islamique, L’université al-Azhar du Caire, en Égypte. Cependant, pour des raisons qui restent en partie obscures, il décide de rester plus près de chez lui et se rend à Berber pour étudier sous la direction du respecté Cheikh Muhammad al-Dikayr. Ce choix stratégique lui permet de s’immerger dans un environnement plus familier tout en bénéficiant de l’enseignement d’un érudit renommé.

Sous la tutelle de Cheikh al-Dikayr, Muhammad Ahmad se distingue non seulement par son intense dévotion religieuse mais aussi par son engagement social et politique. Très tôt, il manifeste des signes de rébellion contre le pouvoir turco-égyptien, dénonçant avec véhémence l’oppression économique exercée sur les populations locales. En signe de protestation, il adopte des gestes symboliques, tels que le refus de consommer la nourriture fournie par les autorités turco-égyptiennes. Ce geste de défi attire l’attention et le respect de ses pairs et de son maître, Muhammad al-Dikayr, qui commence à voir en lui un futur leader.

L’influence de Muhammad Ahmad grandit rapidement, et il attire un cercle de partisans dévoués. Son charisme naturel et son discours critique contre l’injustice économique résonnent profondément parmi les étudiants et la population locale. À la fin de ses études, vers l’âge de 18 ans, il développe un intérêt marqué pour le soufisme, une branche mystique de l’Islam qui prône le rapprochement spirituel avec Dieu durant la vie terrestre. Le soufisme met l’accent sur l’ascétisme, la méditation, et la quête d’une union spirituelle avec le divin, des concepts qui fascinent Muhammad Ahmad et qui correspondent à son désir de réforme religieuse et sociale.

Il rejoint la confrérie soufiste dirigée par Cheikh Muhammad Sharif Nur al Da’im, un ordre influent dans la région. Impressionné par le dévouement et les capacités intellectuelles de son nouvel élève, Cheikh Nur al Da’im lui accorde une liberté de mouvement et de pensée exceptionnelle. Après sept années d’apprentissage intensif et de pratique religieuse sous la direction de Cheikh Nur al Da’im, Muhammad Ahmad atteint un niveau de maîtrise qui lui permet de quitter l’école de son maître avec la bénédiction de ce dernier.

Muhammad Ahmad est alors investi du titre de Cheikh soufiste, une reconnaissance de son expertise et de son autorité spirituelle. Ce titre lui permet de transmettre son propre savoir et d’enseigner à de nouveaux disciples, consolidant ainsi sa position de leader religieux. Durant cette période, il continue de développer ses idées réformatrices, prônant un retour aux valeurs fondamentales de l’Islam et critiquant ouvertement la corruption et l’injustice des autorités turco-égyptiennes.

Les années passées sous la direction de Cheikh al-Dikayr et de Cheikh Nur al Da’im sont cruciales pour la formation intellectuelle et spirituelle de Muhammad Ahmad. Elles lui permettent de forger sa vision d’une société islamique juste et équitable, préparant ainsi le terrain pour sa future proclamation en tant que Mahdi et son rôle dans la lutte contre les puissances coloniales.

Les premiers pas de Muhammad Ahmad en tant que leader religieux

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Drapeau du mouvement Mahdi au Soudan, fin du 19e siècle.

Peu après son départ de la confrérie de Cheikh Muhammad Sharif Nur al Da’im, Muhammad Ahmad entreprend une série de voyages à travers le Soudan, cherchant à diffuser son enseignement religieux et à rassembler des disciples. Ces voyages sont motivés par son désir de réformer la société soudanaise et de lutter contre les injustices perpétrées par les autorités turco-égyptiennes. Il prêche un retour aux valeurs fondamentales de l’Islam et critique ouvertement les pratiques culturelles qu’il considère contraires aux préceptes religieux.

Lors d’un de ses voyages à Khartoum, il épouse Fatima, une de ses cousines, consolidant ainsi son statut social et renforçant ses liens familiaux. À cette occasion, il interdit les danses traditionnelles soudanaises, qu’il juge contraires aux bonnes mœurs religieuses, marquant ainsi son engagement à purifier les pratiques culturelles locales. Cette interdiction reflète sa volonté de revenir à une interprétation stricte et pure de l’Islam, rejetant les éléments culturels qu’il perçoit comme corrompus.

Vers 1878, Muhammad Ahmad commence à critiquer ouvertement son ancien maître, Cheikh Muhammad Sharif Nur al Da’im, notamment pour avoir organisé des danses lors d’une fête familiale. Cette critique publique n’est pas seulement un affront personnel mais aussi une déclaration de son engagement envers une réforme religieuse rigoureuse. Accusé de trahir l’Islam et voyant la popularité de son élève croître dangereusement, Muhammad Sharif Nur al Da’im prend la décision de renvoyer Muhammad Ahmad de la confrérie. Ce renvoi marque un tournant dans la vie de Muhammad Ahmad, qui se retrouve alors à la recherche d’un nouveau foyer spirituel.

Malgré les protestations de son ancien maître, Muhammad Ahmad réussit à rejoindre la confrérie soufiste de la Sammaniya à Khartoum. Son charisme et sa réputation de fervent réformateur religieux lui permettent de gagner rapidement la confiance des membres de cette confrérie. En 1881, à la mort du Cheikh al-Qurashi wad al-Zayn, Muhammad Ahmad est désigné comme le nouveau chef de la Sammaniya, renforçant ainsi son autorité et son influence. Ce positionnement stratégique lui permet de consolider sa base de disciples et d’étendre son message réformateur à un public plus large.

Au cours de ses voyages, Muhammad Ahmad remarque une attente messianique parmi le peuple soudanais, qui espère la venue du Mahdi — un sauveur divin annoncé par la tradition musulmane. Observant cette attente et fort de ses propres convictions religieuses, il commence à entrevoir la possibilité de se présenter comme l’incarnation de cette figure messianique. Ses visions et ses expériences spirituelles renforcent cette conviction, et il se met à prêcher cette idée à ses disciples, préparant ainsi le terrain pour sa future proclamation en tant que Mahdi.

Cette période de sa vie est marquée par une intense activité missionnaire, durant laquelle Muhammad Ahmad ne se contente pas de prêcher mais cherche activement à transformer la société soudanaise. Il critique les pratiques déviantes, promeut une stricte observance des préceptes islamiques, et mobilise ses disciples pour une cause qui dépasse le simple cadre spirituel. En se présentant comme le Mahdi, il offre une vision d’espoir et de libération aux Soudanais opprimés, posant les bases de son futur mouvement politico-religieux.

Cette stratégie de réforme religieuse combinée à une habile exploitation des attentes messianiques du peuple permet à Muhammad Ahmad de bâtir un mouvement puissant et dévoué, prêt à défier les autorités coloniales turco-égyptiennes et, éventuellement, britanniques.

De Muhammad Ahmad à Muhammad al-Mahdi, le sauveur attendu

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Représentation artistique de Muhammad Ahmad

La figure du Mahdi, bien que non mentionnée dans le Coran, occupe une place importante dans la tradition musulmane postérieure. Elle est perçue comme celle d’un envoyé de Dieu, dont la venue est attendue pour précéder la fin des temps. Le Mahdi est destiné à réunifier les musulmans divisés et à préparer le retour de Jésus (ʿĪsā ibn Maryam) qui vaincra l’al-Dajjâl (« le Trompeur » ou « l’Imposteur ») ou al-Masîh al-Daajjâl (« le Messie trompeur »), le faux messie. Les caractéristiques attendues du Mahdi incluent le fait qu’il porte le nom de Muhammad, comme le prophète Mahomet, et qu’il soit un descendant de ce dernier.

En 1880, Muhammad Ahmad commence à être reconnu par plusieurs de ses disciples et partisans comme étant le Mahdi. Il rapporte avoir eu des visions divines qui lui révèlent sa mission et son rôle messianique. Ces visions le confortent dans sa conviction qu’il est destiné à sauver le Soudan de l’oppression turco-égyptienne et à instaurer une société islamique juste.

Au cours de l’année 1881, Muhammad Ahmad décide de rendre publique sa mission. Il annonce officiellement qu’il est le Mahdi et invite tous les fidèles à se joindre à lui pour combattre l’oppression et instaurer la justice divine. Cette proclamation attire l’attention des autorités turco-égyptiennes, qui voient en lui une menace sérieuse pour leur pouvoir.

Le gouverneur général du Soudan, Muhammad Ra’uf Pasha, ordonne à Muhammad Ahmad de se rendre à Khartoum pour se soumettre à son autorité. Cependant, Muhammad Ahmad refuse catégoriquement de se plier à cette injonction, affirmant que sa mission divine transcende toute autorité terrestre. En réaction, le gouverneur envoie une armée pour l’appréhender. La confrontation qui s’ensuit se déroule sur l’île d’Aba, où Muhammad Ahmad et ses partisans, bien que moins nombreux et moins bien armés, réussissent à infliger une défaite décisive aux forces gouvernementales. Cette victoire miraculeuse, obtenue principalement avec des armes blanches contre une armée équipée de fusils, renforce la croyance en sa mission divine et attire une adhésion massive à son mouvement.

Suite à cette victoire, le nombre de ses disciples augmente considérablement, consolidant sa position de leader religieux et militaire. Les victoires contre les forces turco-égyptiennes sont perçues par beaucoup comme des preuves tangibles de son statut de Mahdi. Muhammad Ahmad décide alors d’adopter officiellement le nom de Muhammad al-Mahdi, symbolisant ainsi pleinement son rôle de sauveur divin et de réformateur.

Muhammad al-Mahdi commence à structurer son mouvement en un véritable état avec des représentants, une armée organisée et une administration basée sur les préceptes islamiques qu’il prône. Il établit son siège près du Mont Qadir, qu’il renomme Mont Massa, conformément aux prophéties traditionnelles associées à la venue du Mahdi.

L’ascension de Muhammad al-Mahdi marque le début d’un mouvement révolutionnaire au Soudan, où ses victoires militaires et son charisme religieux mobilisent des milliers de Soudanais autour de sa cause. La figure du Mahdi, telle qu’incarnée par Muhammad Ahmad, devient un symbole de résistance contre l’oppression coloniale et d’espoir pour une société plus juste et pieuse.

La montée en puissance et les défis de Muhammad al-Mahdi

Le Mahdi du Soudan, l’homme qui vainquit les colons turcs et britanniques
Territoire approximatif du Soudan mahdiste en 1894 (vert clair) et limites maximales approximatives (vert foncé).

Après sa victoire initiale contre les forces turco-égyptiennes sur l’île d’Aba, Muhammad al-Mahdi migre avec ses partisans près du Mont Qadir, qu’il renomme Mont Massa pour se conformer aux prédictions traditionnelles sur le Mahdi. Cette relocalisation stratégique renforce l’aura mystique et prophétique de son mouvement, attirant encore plus de disciples convaincus de sa mission divine.

Le gouvernement turco-égyptien, déterminé à écraser cette rébellion naissante, envoie une nouvelle armée pour appréhender al-Mahdi. Cependant, en arrivant à l’île d’Aba, les troupes trouvent le camp déserté. Frustrés et désorientés, ils se retirent à Khartoum, mais sont sévèrement affectés par les maladies locales causées par les conditions climatiques et sanitaires défavorables.

Profitant de la désorganisation des forces coloniales, l’armée du Mahdi lance une série d’embuscades ingénieuses contre les troupes turco-égyptiennes. Ces attaques, souvent menées dans des conditions de terrain difficiles et en utilisant des tactiques de guérilla, infligent de lourdes pertes aux envahisseurs et sapent leur moral. La capacité de Muhammad al-Mahdi à mobiliser ses forces de manière efficace et à exploiter les faiblesses de l’ennemi renforce son statut de leader militaire compétent et inspiré.

Fort de ces succès, al-Mahdi commence à établir un gouvernement structuré dans les territoires qu’il a conquis, Al-Dawla al-Mahdiyah. Il nomme des représentants locaux pour administrer les régions sous son contrôle et met en place une armée disciplinée pour défendre et étendre son influence. Ce gouvernement embryonnaire est fondé sur les principes islamiques qu’il prêche, cherchant à instaurer une société juste et pieuse en opposition au régime turco-égyptien corrompu et oppresseur.

En septembre 1882, les forces mahdistes subissent une lourde défaite à el-Obeid, où près de 10 000 de ses hommes périssent. Malgré cette perte écrasante, al-Mahdi ne se laisse pas décourager. Il décide de faire le siège de la ville, utilisant des tactiques de blocus et de harcèlement pour épuiser les défenses ennemies. La détermination et la résilience des mahdistes finissent par payer, et après plusieurs mois de siège, la ville d’el-Obeid se rend à al-Mahdi. Cette victoire lui permet de consolider son contrôle sur la province stratégique du Kordofan, renforçant encore sa position de leader incontournable.

La prise d’el-Obeid marque un tournant dans la campagne d’al-Mahdi. Non seulement elle prouve sa capacité à surmonter des revers militaires majeurs, mais elle démontre également son talent pour rallier et motiver ses troupes dans les moments de crise. La reddition de la ville lui permet d’étendre son territoire et d’asseoir son autorité sur une région clé du Soudan.

Les victoires continues de Muhammad al-Mahdi contre les forces turco-égyptiennes attirent l’attention de la Grande-Bretagne, qui commence à voir en lui une menace sérieuse pour ses intérêts en Afrique du Nord et de l’Est. Cependant, avant que les Britanniques n’interviennent directement, al-Mahdi continue d’étendre son influence et de consolider son pouvoir, préparant le terrain pour les confrontations futures qui définiront son héritage.

L’intervention britannique et la lutte pour le Soudan

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Représentation de la place britannique lors de la bataille d’Abu Klea, pendant la guerre du Mahdisme, 1885

La montée en puissance de Muhammad al-Mahdi et de ses forces mahdistes attire rapidement l’attention de la Grande-Bretagne, qui a récemment consolidé son contrôle sur l’Égypte après la guerre anglo-égyptienne de 1882. Inquiet de l’instabilité croissante au Soudan et des répercussions potentielles sur ses intérêts coloniaux, le gouvernement britannique décide d’intervenir pour rétablir l’ordre.

En 1883, la Grande-Bretagne envoie le colonel William Hicks à la tête d’une armée égyptienne renforcée par des officiers britanniques, avec pour mission de mater la rébellion mahdiste. Au départ, l’armée de Hicks remporte quelques succès mineurs contre les forces d’al-Mahdi, mais ces victoires sont de courte durée. Le 5 novembre 1883, les forces de Hicks tombent dans une embuscade près de Sheikan. Al-Mahdi et ses troupes infligent une défaite écrasante aux envahisseurs, anéantissant presque toute l’armée de Hicks. Ce massacre renforce considérablement la popularité et la légitimité politique d’al-Mahdi, consolidant son image de leader invincible et messianique.

Fort de cette victoire, al-Mahdi poursuit sa campagne militaire avec une série de succès notables. Ses forces remportent des victoires décisives au Bahr el Ghazal et au Darfour, étendant leur contrôle sur des régions clés du Soudan. En 1884, les forces mahdistes gagnent également le soutien des Bédja du Désert oriental, un groupe ethnique influent dans la région, renforçant ainsi leur position stratégique et militaire.

Face à l’avancée irrésistible des mahdistes, le gouvernement britannique décide d’évacuer ses ressortissants et les fonctionnaires égyptiens restants du Soudan. Le général Charles Gordon, un militaire et administrateur respecté, est envoyé à Khartoum pour superviser l’évacuation et tenter de trouver une solution pacifique à la crise. Cependant, les tentatives de négociation de Gordon échouent. Al-Mahdi, déterminé à poursuivre sa mission divine, rejette les propositions de compromis, y compris l’offre de Gordon de le nommer sultan du Kordofan en échange de la libération des prisonniers européens.

En janvier 1885, les forces mahdistes lancent une attaque massive sur Khartoum. Après un siège intense, la ville tombe aux mains d’al-Mahdi. Environ 10 000 des 40 000 habitants, y compris Charles Gordon, sont tués lors de la prise de la ville. Cette victoire marque le triomphe ultime de Muhammad al-Mahdi sur les forces turco-égyptiennes et britanniques, consolidant son contrôle sur le Soudan.

Pour symboliser la rupture avec le régime turco-égyptien et marquer le début d’une nouvelle ère, al-Mahdi décide de déplacer son siège de Khartoum à Omdurman. En février 1885, il introduit une monnaie unique pour l’ensemble du Soudan, affirmant ainsi l’indépendance économique et politique de son gouvernement. Cette initiative vise à renforcer l’unité nationale et à affirmer la souveraineté du nouvel État islamique.

L’établissement de son siège à Omdurman permet à al-Mahdi de centraliser son pouvoir et de structurer son administration. Omdurman devient rapidement le cœur politique, religieux et militaire de l’État mahdiste. Al-Mahdi met en place un système de gouvernance basé sur les principes islamiques qu’il prêche, avec des représentants locaux chargés d’administrer les régions conquises et de maintenir l’ordre.

L’intervention britannique, bien que décisive dans d’autres contextes, se solde par un échec retentissant face à la détermination et à la stratégie militaire d’al-Mahdi. La prise de Khartoum et la mort de Charles Gordon marquent un tournant dans l’histoire du Soudan, établissant Muhammad al-Mahdi comme un leader capable de défier et de vaincre les puissances coloniales européennes.

Cependant, cette période de triomphe est de courte durée. Bien qu’al-Mahdi ait réussi à unifier le Soudan sous son leadership et à instaurer un État théocratique, les défis internes et les pressions extérieures persistent. La gestion de l’État, les conflits internes et la menace constante d’intervention étrangère continuent de poser des défis significatifs à son régime.

La mort de Muhammad al-Mahdi et la chute de son gouvernement

Le Mahdi du Soudan, l’homme qui vainquit les colons turcs et britanniques
La tombe reconstruite de Muhammad Ahmad à Omdurman

Le 22 juin 1885, Muhammad al-Mahdi meurt à Omdurman, vraisemblablement de maladie. Toutefois, certaines sources contemporaines suggèrent qu’il aurait pu être empoisonné par une concubine, bien que cette version des faits reste sujette à débat. La mort d’al-Mahdi constitue un coup dur pour le mouvement mahdiste, mais son successeur désigné, Abdallahi ibn Muhammad, connu sous le titre de khalîfa, prend rapidement les rênes du mouvement.

Le khalîfa Abdallahi al-Ta’ayshi, un homme d’une grande détermination et d’un esprit stratégique, entreprend de transformer le mouvement révolutionnaire en un État structuré. Il divise le Soudan en plusieurs provinces administrées par des gouverneurs locaux, créant ainsi une administration centralisée et efficace. Cette structure provinciale permet de maintenir un certain ordre et de gérer les vastes territoires sous contrôle mahdisté. Il met également en place une armée disciplinée et bien organisée pour défendre les frontières de l’État et pour poursuivre les objectifs militaires du mouvement.

Sous la direction du khalîfa, l’État mahdiste adopte des lois basées sur les préceptes religieux d’al-Mahdi, instaurant ainsi une théocratie rigoureuse. Les lois islamiques sont appliquées strictement, et le khalîfa cherche à maintenir l’idéal d’une société pieuse et juste telle que prônée par al-Mahdi. Cependant, malgré ses efforts pour stabiliser le gouvernement et renforcer l’administration, le khalîfa doit faire face à de nombreux défis internes et externes.

Les tentatives d’expansion de l’État mahdiste en Égypte et en Abyssinie rencontrent des résistances significatives. Les forces mahdistes, bien qu’inspirées et déterminées, peinent à maintenir des campagnes prolongées sur plusieurs fronts. Ces efforts d’expansion épuisent les ressources de l’État et détournent l’attention des problèmes internes croissants.

En 1896, la Grande-Bretagne décide de reconquérir le Soudan pour rétablir son contrôle et mettre fin à la menace que représente l’État mahdiste. Les Britanniques, sous la direction du général Horatio Kitchener, lancent une campagne militaire bien organisée et méthodiquement planifiée pour reprendre le Soudan. L’armée britannique, mieux équipée et technologiquement supérieure, progresse rapidement contre les forces mahdistes.

La campagne britannique culmine en 1898 avec la bataille décisive d’Omdurman, où les forces de Kitchener infligent une défaite écrasante aux troupes mahdistes. Cette bataille marque la fin effective de la résistance organisée des mahdistes et pave la voie à la reconquête complète du Soudan par les Britanniques en 1899. Le khalîfa Abdallahi est capturé et tué, mettant ainsi fin au gouvernement mahdiste.

La chute du gouvernement mahdiste en 1899 met un terme à une période d’indépendance relative et de réforme religieuse radicale au Soudan. Bien que l’État mahdiste n’ait pas réussi à maintenir son pouvoir face aux forces impérialistes, l’héritage de Muhammad al-Mahdi perdure. Il est commémoré comme un leader charismatique qui, grâce à une foi inébranlable et une vision claire, a défié et vaincu les puissances coloniales européennes pendant une période critique de l’histoire soudanaise.

L’influence de Muhammad al-Mahdi et de son mouvement se fait encore sentir dans l’histoire et la culture du Soudan moderne. Son appel à la justice sociale et à la réforme religieuse continue d’inspirer les générations actuelles, et sa lutte contre l’oppression coloniale reste un symbole de résistance et de détermination dans la quête d’un avenir meilleur pour le Soudan.

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